Google, dalaï-lama, vente d'armes à Taïwan... La liste des points d'achoppement entre la Chine et les États-Unis s'allonge. Barack Obama et Hillary Clinton haussent le ton. Mais les Américains peuvent-ils donner des leçons à la Chine, qui finance leurs déficits records?

Les disputes entre les États-Unis et la Chine s'arrangent habituellement en privé, autour d'un souper sept services ou dans les couloirs feutrés des sommets internationaux.

Ces jours-ci, par contre, les désaccords entre Washington et Pékin éclatent au grand jour.

En janvier, l'administration Obama a autorisé la vente d'armes d'une valeur de 6,4 milliards à Taïwan, île autonome revendiquée par la Chine.

La nouvelle a déchaîné les passions en Chine. «Nous devrions riposter, oeil pour oeil, a suggéré Liu Menxiong, membre de la Table consultative des politiques de la république chinoise. Nous devrions vendre des armes à l'Iran, la Corée du Nord, la Syrie, Cuba et le Venezuela. Pourquoi devrions-nous avoir peur?»

Jeudi prochain, le président Obama rencontrera le dalaï-lama à la Maison-Blanche. Un geste qui déplaît aux dirigeants chinois, qui considèrent le leader tibétain en exil comme un terroriste et un agitateur.

Le China Daily, l'un des plus grands journaux du pays, généralement centriste, a dénoncé la décision. «Quand quelqu'un vous crache au visage, vous devez riposter», écrit le quotidien, qui encourage le gouvernement à punir les États-Unis «par tous les moyens nécessaires».

Hier, la Chine a de nouveau demandé officiellement à l'administration Obama d'annuler la rencontre avec le dalaï-lama.

«Nous demandons aux États-Unis de comprendre la nature délicate du sujet, et d'honorer sa position officielle, qui reconnaît le Tibet comme faisant partie de la Chine», a dit un porte-parole du ministre chinois des Affaires étrangères.

La Maison-Blanche a rétorqué que la rencontre aurait lieu comme prévu.

Et il y a eu la sortie de Google, qui a accusé à mots couverts le gouvernement chinois d'avoir attaqué son réseau. La secrétaire d'État Hillary Clinton a donné son appui à l'entreprise.

Thomas Plate, professeur au département d'études asiatiques de l'Université de Californie à Los Angeles (UCLA), dit être préoccupé par ce changement de ton.

«Durant toute ma carrière, j'ai étudié les relations entre la Chine et les États-Unis et, pour la première fois, je suis nerveux, explique-t-il en entrevue. Je ne dis pas que la troisième guerre mondiale s'en vient. Mais la tension monte, aucun doute là-dessus.»

Montée du nationalisme

En Chine, les frictions avec les États-Unis fouettent le nationalisme ambiant. Selon un sondage publié ce mois-ci dans le quotidien Global Times, repris par le Times de Londres, 55% des Chinois sont d'avis que leur pays se dirige vers une «guerre froide» avec les États-Unis.

Un sentiment que perçoit M. Plate, qui tient depuis 16 ans une chronique publiée dans plusieurs quotidiens asiatiques, dont The South China Morning Post, The China Times, et The Korea Times.

«Ce n'est pas parce que la Chine n'est pas une démocratie que les dirigeants ne sont pas sensibles à l'opinion publique. Les Chinois tolèrent leur gouvernement, tant que leur qualité de vie s'améliore. Si cette entente tacite est rompue, tout peut arriver.»

Ainsi, une nouvelle génération de dirigeants chinois beaucoup plus nationalistes tire maintenant les leviers de l'État. «Ils réalisent qu'ils ont du pouvoir, et ils veulent l'utiliser. L'histoire leur enseigne que l'Ouest a toujours voulu profiter de la Chine. Aujourd'hui, ils veulent renverser les rôles.»

L'origine de la crise de confiance entre les deux pays, note-t-il, prend sa source dans le débat sur la libéralisation du taux de change du yuan dans les années 90.

À l'époque, l'administration de Bill Clinton et la Banque mondiale faisaient campagne pour que les pays d'Asie libéralisent leur devise et laissent les forces du marché en déterminer la valeur.

Plusieurs pays ont suivi ce conseil, une décision qui a finalement exacerbé la crise économique de la fin des années 90, où des pays comme la Thaïlande et la Corée du Sud ont vu leur devise se faire pilonner par la spéculation internationale.

Les Chinois n'ont pas libéralisé leur monnaie. Et ils s'en sont mieux tirés que les autres.

Depuis la crise asiatique, les Chinois prennent tous les conseils économiques de l'Ouest avec un grain de sel, note M. Plate. «Ils écoutent ce que les États-Unis ont à dire, mais ils prennent leurs propres décisions. Parfois, les dirigeants chinois se replient sur eux-mêmes. C'est difficile de prévoir leurs actions.»

«La Chine se lève»

Durant sa visite en Chine l'automne dernier, Barack Obama a montré au monde que les États-Unis avaient bien peu de leviers pour faire valoir leurs intérêts.

Les Chinois ont paradé le président américain comme ils l'entendaient, décidant de son horaire, restreignant ses déplacements. Obama avait comme objectif de convaincre le président Hu Jintao de mettre fin à la dévaluation du yuan (voir autre texte). Il est rentré les mains vides.

Une situation indicatrice des années à venir, croit Thomas Plate. «Les Chinois ont montré au monde qu'ils n'étaient pas impressionnés par Obama. Ne vous y trompez pas: l'équipe financière du gouvernement chinois est extrêmement compétente, sans doute la meilleure du monde. Ces gens-là sont très intelligents. Pour eux, la partie vient de commencer. La Chine se lève. Et elle n'est prête à recevoir les ordres de personne.»