Ethan Nadelmann est le fondeur de la Drug Policy Alliance, organisation que finance le milliardaire George Soros et qui propose une réforme sur la prohibition des drogues. La Presse l'a interviewé.

Q - Comment percevez-vous le référendum sur la légalisation de la marijuana en Californie, qui aura lieu à l'automne?

R - C'est une excellente nouvelle. Mon équipe a d'ailleurs participé à la rédaction de certains documents du projet. Le fait que cette question sera posée aux électeurs de l'État le plus populeux des États-Unis montre bien que les gens sont de plus en plus à l'aise avec l'idée de taxer et de contrôler la vente du cannabis, plutôt que de laisser les groupes criminels faire des profits.

Q - Pensez-vous que le projet a des chances d'être approuvé par l'électorat?

RDifficile à dire. Les derniers sondages placent le vote en faveur de la légalisation à environ 50 ou 55%. C'est beaucoup plus que dans les dernières années, mais je ne sais pas si ce sera assez. Bien des gens seront nerveux avant le vote, et décideront de voter non. Je crois que ça va être serré.

Q - Vous étudiez la prohibition des drogues depuis plus de 20 ans. Quel regard portez-vous sur l'évolution du débat au fil des ans?

R - J'ai commencé à m'engager à la fin des années 80, au point culminant de la «guerre contre les drogues» menée par la Maison-Blanche. Depuis ce temps, les mentalités ont changé. Les gens réalisent que la prohibition coûte extrêmement cher, et que les drogues sont toujours aussi disponibles. Il y a un effet de lassitude. Bien des gens sont prêts à essayer une autre approche. Je crois que la légalisation de la marijuana à des fins médicales en Californie et ailleurs a changé la donne. Avant, les consommateurs étaient des jeunes aux cheveux longs. Maintenant, des adultes fument pour diverses raisons. Le cannabis n'est plus vu comme un trip de jeunesse. Enfin, la crise économique a aussi un impact. Le marché du cannabis rapporte des milliards chaque année, mais le gouvernement ne touche pas un sou. Au moment où les villes et les États font des déficits records, la question devient d'actualité.

Q - Aux yeux du gouvernement fédéral, la marijuana est illégale. Comment réagirait Washington si la Californie devait en légaliser la consommation?

R - L'administration Obama aurait à prendre une décision. Le département de la Justice devrait prendre position. Je crois qu'il pourrait choisir de ne pas intervenir. L'an dernier, le ministre de la Justice a dit qu'il n'interviendrait pas pour faire appliquer les lois fédérales sur la marijuana médicale. Dans les faits, ça envoie un message clair: Washington laisse les États tracer leur propre voie. Au début des années 30, ce sont les États qui ont commencé à légaliser la vente d'alcool. Une fois cette porte enfoncée, Washington a mis fin à la prohibition, en 1933. Il ne faut pas oublier que le gouvernement fédéral n'a pas les ressources pour être partout à la fois. Les policiers municipaux et de l'État représentent 90% des forces sur le terrain.

Q - Certaines personnalités publiques, comme Arnold Schwarzenegger, encouragent à mots couverts le débat sur la légalisation. Est-ce que cela vous étonne?

R - En privé, bien des policiers et des politiciens me disent qu'ils sont en faveur de la légalisation et de la taxation. Mais en public, ils tiennent un discours différent. Ils ne veulent pas être associés à la tolérance. Je crois que nous avons fait bien du chemin dans les dernières années, mais nous ne sommes pas encore rendus au bout. La légalisation est encore une idée qui fait peur, même si la marijuana n'a jamais été aussi présente.