Afghanistan, 27 juillet 2002. En plein coeur du pays, l'armée américaine traque les terroristes liés à Al-Qaïda. Dans une altercation, une grenade atteint un soldat qui mourra plus tard de ses blessures. Sur place, un seul «combattant ennemi» est retrouvé vivant. Il s'appelle Omar Khadr, il a 15 ans... et il est citoyen canadien. S'enclenche un feuilleton, digne d'un roman policier, où s'entremêlent torture, justice, gouvernements et forces armées. Un feuilleton dont le dernier chapitre pourrait s'écrire sous peu, alors que le procès d'Omar Khadr devant une commission militaire américaine s'ouvre demain.

Ses avocats, canadiens comme américains, ont tout essayé jusqu'à la dernière minute pour faire avorter les procédures judiciaires. Les groupes de défense des droits, organisations non gouvernementales, partis de l'opposition à Ottawa ont milité sans relâche pour qu'il soit rapatrié plutôt que jugé devant une commission militaire en laquelle personne n'a confiance. Omar Khadr lui-même a menacé de boycotter les procédures.

Huit ans après avoir été appréhendé à la suite d'une escarmouche en Afghanistan qui a causé la mort d'un soldat américain, en 2002, c'est finalement demain qu'Omar Khadr, citoyen canadien, doit connaître son premier jour de procès, à Guantánamo. À moins que les procédures ne soient, de nouveau, reportées.

«Peu importe quand le procès débutera, la seule certitude qu'on peut avoir, c'est que les États-Unis, en allant de l'avant, violeront les exigences d'équité et de transparence nécessaires à tout processus judiciaire dans le monde civilisé, estime sans détour Amir Attaran, professeur de droit à l'Université d'Ottawa.

«Les Américains sont disposés à utiliser des preuves obtenues sous la torture, poursuit-il, découragé. Ils sont disposés à utiliser des preuves provenant de témoignages qui ont été modifiés ou altérés après les faits. C'est digne de la fiction. Ça n'arrive pas dans les vrais tribunaux. Et finalement, dans les pays civilisés, les enfants ne sont pas traînés en justice pour des crimes de guerre.»

Accusé de meurtre, mais aussi de soutien matériel à des activités terroristes, le Torontois aujourd'hui âgé de 23 ans est le dernier prisonnier occidental encore incarcéré au controversé centre de détention. Bien que les accusations soient sérieuses, c'est toute la légitimité du processus judiciaire qui est remise en question. À tel point que Barack Obama, à son arrivée au pouvoir, avait promis de mettre fin aux commissions militaires et de fermer Guantánamo.

«Au contraire, le centre est resté ouvert, s'insurge Alex Neve, secrétaire général d'Amnistie internationale Canada. Et la première cause qui sera entendue, pour démontrer au monde entier que les États-Unis ont maintenant un système de justice amélioré à Guantanamo Bay, mettra en cause un individu appréhendé à 15 ans, et qui a démontré qu'il avait été victime de mauvais traitements depuis son arrestation.»

«C'est tragique. Ça n'envoie pas un message prometteur au monde entier, en matière de justice et de respect des droits de la personne», déplore M. Neve, qualifiant la commission militaire de «système de justice imparfait, faillible, injuste et discriminatoire».

Même l'avocat canadien du jeune détenu, Dennis Edney, est résigné. «Je m'attends à ce que M. Khadr soit reconnu coupable parce qu'il se retrouve dans un processus qui a été conçu pour que les gens soient reconnus coupables», dit-il, défait.

Khadr congédie ses avocats

Malgré tout, même si Omar Khadr a congédié au début du mois de juillet ses avocats américains et menacé de boycotter le procès, Me Edney entend convaincre son client de participer au processus, «pour que le monde entier puisse entendre son histoire». «Mais je reconnais qu'en participant au procès, on se trouve à accorder une forme de légitimité au processus, ce qu'on ne devrait pas faire», explique-t-il.

Du côté américain, le dossier est tout aussi embarrassant. Le meurtre d'un soldat (crime reproché à Omar Khadr) frappe les consciences. Mais les circonstances rendent l'issue du procès incertaine. «Les juges militaires et les avocats ne veulent pas être associés à l'affaire Khadr. Ils ne veulent pas être ceux qui devront condamner le premier enfant à être accusé de crimes de guerre dans l'histoire», explique Luc Côté, qui a réalisé, avec Patricio Henriquez, un documentaire sur Omar Khadr qui doit être diffusé à l'automne à Canal D.

Critiques au Canada

À Ottawa, les critiques se sont multipliées envers le gouvernement conservateur de Stephen Harper, qui a essuyé de nombreux revers devant les tribunaux. Ils l'ont sommé de réclamer auprès des Américains le rapatriement d'Omar Khadr.

«Le refus borné du gouvernement de protéger les droits fondamentaux d'Omar Khadr n'est plus seulement embarrassant. Sur la scène internationale, la position du Canada comme pays qui défend les droits de la personne universels est devenue une moquerie», estime M. Neve, d'Amnistie.

«Notre gouvernement s'en fiche, renchérit Me Edney, amer. Tout ce qui l'intéresse, c'est qu'Omar Khadr soit reconnu coupable de terrorisme.»

Le ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, n'était pas disponible pour une entrevue dans la semaine précédant le procès. À son bureau, on réitère que le gouvernement souhaite laisser les procédures judiciaires américaines aller de l'avant, compte tenu de la «gravité des crimes» qui sont reprochés au jeune prisonnier.

Pour l'opposition, l'inaction du gouvernement Harper est inacceptable. «Si le procès va de l'avant, ce sera une humiliation pour l'administration américaine et le gouvernement canadien, soutient le député du NPD Wayne Marston, porte-parole en matière de droits de la personne. La Cour suprême des États-Unis a reconnu que les droits des prisonniers à Guantánamo étaient violés. La Cour suprême du Canada a jugé que les droits de M. Khadr avaient été violés et continuaient de l'être. Comment a-t-on pu se rendre au point où la primauté du droit est mise de côté de façon si cavalière?»

Pour le critique libéral en matière d'affaires étrangères, Bob Rae, une seule conclusion s'impose: «Ce n'est pas une cour indépendante, mais bien un tribunal militaire. Étant donné les conditions sous lesquelles il a été traité, nous croyons que l'objectif principal, c'est de chercher à le rapatrier.»

La commission entendra aujourd'hui une série de motions afin de déterminer ce qui sera admissible ou non comme preuve au procès, y compris le témoignage qu'a rendu Omar Khadr après avoir été victime de mauvais traitements.

- Avec Laura-Julie Perreault, à Montréal