L'auteur et scénariste Rodger Jacobs a toujours été habitué à vivre avec peu. Puis la récession est arrivée. Poussé à la rue, il loge maintenant avec sa compagne dans un motel à la semaine dans un quartier dangereux de Las Vegas, et écrit ses mésaventures pour le Las Vegas Sun. «Nous survivons «, a-t-il confié à notre correspondant.

Près du motel où habite Rodger Jacobs, à Las Vegas, se trouve une boutique de prêt sur gages avec un service à l'auto.

 

 

«Pensez-y un instant, dit-il. Vous pouvez vendre vos affaires sans sortir de votre voiture. Bienvenue en Amérique!»

M. Jacobs aime l'humour noir. Ces jours-ci, c'est pratiquement tout ce qui lui reste. Lui et sa compagne, Lela, ont récemment mis leurs affaires dans des boîtes de carton achetées par un ami, et ont débarqué au Budget Suites of America, sur North Rancho Drive, un motel géant qui loue des chambres à la semaine.

Son nouveau quartier, dans la partie nord de Las Vegas, est déprimant le jour et dangereux la nuit, dit M. Jacobs, avant d'ajouter: «Je suis content d'avoir un toit au-dessus de ma tête.»

En août, dans un moment de détresse, Jacobs a écrit au Las Vegas Sun. Intitulée «J'ai peur», sa missive dévoilait le parcours d'un homme qui a choisi de vivre modestement, mais que la récession et la maladie ont poussé vers l'abîme. Le journal l'a publiée intégralement.

«Je suis un écrivain professionnel de 51 ans, a écrit Jacobs. Au cours de ma carrière, j'ai produit des documentaires qui ont gagné des prix, écrit pour des magazines d'art, adapté des pièces de théâtre, écrit des romans policiers et des chroniques sur les livres et la littérature.»

«Mais dans le grand manège des choses, mes acquis ne veulent rien dire. Dans moins de deux semaines, moi et ma compagne serons sans logis, dans une ville où nous n'avons aucun ami, pas de famille et qui n'a aucun filet social pour nous rattraper.»

Survivre

M. Jacobs a quitté San Francisco et emménagé à Las Vegas en 2007 pour prendre soin de sa mère mourante. Son plan était de rentrer en Californie. Sa mère est morte en 2008, mais entre-temps la récession a frappé et le travail à la pige de M. Jacobs a commencé à manquer.

Incapable de payer son loyer, il a été expulsé de la maison qu'il louait. Lui et sa conjointe ont dû mettre leurs meubles en vente sur Craigslist avant de déménager au motel. «Les gens qui sont venus chercher nos affaires étaient encore plus mal pris que nous», dit Jacobs.

Depuis 44 mois, Las Vegas occupe le premier rang aux États-Unis pour le nombre de reprises bancaires de maisons (foreclosure). Le taux de chômage au Nevada est de 14,4%, le plus élevé au pays.

Aujourd'hui, la petite chambre que M. Jacobs partage avec sa compagne est décorée avec soin. Au mur sont accrochées des images de poètes, dont celle de Charles Bukowski, l'un de ses auteurs préférés. Sur la table sont empilés des exemplaires de Jack London's San Francisco Stories, un livre paru cet automne chez Samizdat Press, et dont Rodger Jacobs a écrit la préface.

Le loyer et les frais du motel coûtent plus de 800$ par mois. Considéré invalide à cause de problèmes d'arthrite et de psoriasis sévère, M. Jacobs touche 926$ du gouvernement fédéral chaque mois. Une fois le loyer payé, il lui reste donc un peu plus de 100$ pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa compagne, Lela, qui ne trouve pas de travail, même après deux ans de recherche. Elle fait aujourd'hui du bénévolat dans une cuisine pour les sans-abri.

«Nous survivons, dit M. Jacobs. Le bon côté, c'est que je n'ai jamais eu besoin de manger trois repas par jour. Un seul me suffit.»

Ces jours-ci, M. Jacobs écrit le troisième volet de sa série d'articles sur sa situation, un travail commandé par les éditeurs du Las Vegas Sun. Ses articles ont touché un nerf: des gens lui ont écrit pour lui offrir leur aide.

Des lecteurs ont aussi profité de l'anonymat du web pour laisser des commentaires acerbes. «Trente ans sur le marché et aucun vrai emploi», a écrit l'un d'eux. Un autre: «Vous êtes dans cette situation à cause de votre arrogance, et c'est à cause de votre arrogance que vous y resterez.»

«Les commentaires m'ont affecté, concède Jacobs. J'aimerais dire que non, mais ce ne serait pas vrai.»

La crise économique frappe tout le monde, dit-il. Par exemple, des dizaines de familles vivent dans son motel.

«L'après-midi, l'autobus scolaire s'arrête devant le motel. Les enfants rentrent de l'école. L'autre jour, j'en ai compté 23. Le fait que des gens ne veulent pas voir cette réalité ne change rien au fait qu'elle existe.»