Les motifs du tireur de Tucson sont encore loin d'être aussi limpides que ceux de Timothy McVeigh, dont la haine antigouvernementale, abondamment documentée, l'avait conduit à s'attaquer à un immeuble fédéral d'Oklahoma City en avril 1995.

Mais les parallèles entre les contextes politiques qui ont entouré les deux tragédies sont frappants: aujourd'hui comme hier, les tenants d'une droite accro aux métaphores violentes se déchaînent contre le gouvernement fédéral, à la tête duquel se trouve un président démocrate.

Aujourd'hui comme hier, cette hantise antigouvernementale a semblé trouver un exutoire lors d'élections de mi-mandat qui ont permis à une nouvelle génération de républicains, encore plus radicale que la précédente, d'envahir le Congrès américain.

Mais ce triomphe a rapidement été assombri par une tuerie qui force le pays, aujourd'hui comme hier, à réfléchir sur la violence de son discours politique.

Le shérif du comté de Pima, Clarence Dupnik, a lancé cette réflexion de façon saisissante samedi soir lors d'une conférence de presse à Tucson.

«La colère, la haine et l'intolérance sont en train de devenir scandaleuses dans le pays», a-t-il déclaré, dénonçant le vitriol politique déversé à la radio et à la télévision.

«Malheureusement, je pense que l'Arizona en est devenu une sorte de capitale. Nous sommes devenus la Mecque des préjugés et de l'intolérance», a-t-il ajouté.

Rien ne permet de conclure que le suspect de la tuerie de Tucson, Jared Lee Loughner, a été influencé par les appels aux armes plus ou moins allégoriques de certaines figures politiques, dont Sarah Palin, héroïne du Tea Party, ce mouvement de contestation populiste et conservateur. Les propos qui sont attribués au jeune homme de 22 ans sur l'internet se distinguent surtout par leur incohérence.

Mais la première cible du tireur de Tucson ne semble pas avoir été choisie au hasard. La représentante démocrate Gabrielle Giffords, qui a été atteinte d'une balle à la tête, avait fait l'objet de plusieurs dénonciations et menaces de tenants de la droite à la suite de son vote pour appuyer la réforme du système de santé et de son opposition à la loi controversée de l'Arizona sur l'immigration.

Giffords faisait notamment partie des 20 parlementaires démocrates dont les circonscriptions avaient été identifiées par des cibles de fusil sur une carte des États-Unis publiée sur la page Facebook de Sarah Palin. Après la promulgation de la réforme du système de santé, l'ancienne candidate à la vice-présidence des États-Unis avait également déclaré à ses partisans: «Ne battez pas en retraite, rechargez (vos armes).»

Un exemple parmi d'autres d'une rhétorique belliqueuse contre laquelle Bill Clinton avait mis en garde la classe politique et les médias à l'occasion du 15e anniversaire de l'attentat d'Oklahoma City.

«Ce que nous avons appris d'Oklahoma City n'est pas que nous devrions nous museler les uns les autres ou que nous devrions réduire notre passion pour les opinions que nous avons. Ce que nous avons appris, c'est que nos mots ont vraiment des conséquences. Il y a cette immense caisse de résonance, et les mots sont entendus par les sérieux comme par les délirants», a déclaré l'ancien président démocrate lors d'un discours devant le Center for American Progress, groupe de recherche progressiste à Washington.

Les dirigeants du Tea Party, mouvement qui carbure souvent à la colère, ont rapidement exprimé leur révulsion à la suite de la fusillade. Ils ont également rejeté tout lien entre la rhétorique de leurs vedettes et le geste du tireur de Tucson.

Mais la tragédie de samedi en Arizona pourrait avoir sur le Tea Party et ses stars le même effet d'éteignoir qu'avait eu l'attentat d'Oklahoma City sur les milices d'extrême droite et leurs dirigeants. Les ambitions présidentielles de Sarah Palin pourraient ainsi pâtir de la fusillade de Tucson. Idem pour celles de Michele Bachmann, représentante républicaine du Minnesota dont la rhétorique incendiaire semble être prisée par les partisans du Tea Party.

Au nombre des déclarations les plus controversées de Bachmann figure un appel aux citoyens de son État à prendre les armes pour contrer le programme énergétique de Barack Obama.

«Je les veux armés et dangereux», a-t-elle déclaré lors d'une entrevue radiophonique, soulignant qu'»une révolution est une bonne chose de temps à autre».

Timothy McVeigh pensait exactement la même chose.