Le centre de tir Pima Pistol Club est situé au bout d'une route en terre rouge qui avance dans le désert, au nord de Tucson.

Après avoir coupé le moteur, on entend les tirs. Des chocs secs et intenses, qui figent votre pas et vous mettent sur vos gardes.

«Bonjour, travaillez-vous ici?» demande-t-on à un homme agenouillé derrière une mitraillette, la seule personne en vue.

«Qu'est-ce que tu veux?» répond-il.

«Je suis journaliste, et...»

«Non. Nous ne sommes pas intéressés. Tu peux partir, maintenant. Tu es sur une propriété privée.»

Le ciel est toujours aussi bleu. Les montagnes aussi majestueuses. Les tirs arrêtent pendant que je marche vers ma voiture. Le désert est rempli du bruit de mes pas.

Dire que les amateurs d'armes à feu d'Arizona ont été affectés par la tuerie de samedi dernier est un euphémisme. Le sujet les a placés, malgré eux, au centre d'un débat national sur l'accessibilité des armes.

L'Arizona est l'un des trois États, avec l'Alaska et le Vermont, qui n'exigent pas de permis pour avoir sur soi une arme non visible (concealed).

Les résidants de l'Arizona peuvent avoir une arme sur eux en tout temps, même lorsqu'ils sont dans des édifices gouvernementaux, ou dans un bar, pourvu qu'ils ne soient pas imbibés d'alcool. Une loi de l'État interdit aux villes de passer des règlements plus stricts en matière de contrôle des armes à feu.

Un projet de loi déposé au lendemain de la tuerie de Virginia Tech propose de permettre aux professeurs et aux étudiants de 21 ans et plus d'être armés en classe. Ironiquement, le projet de loi, qui doit faire l'objet d'un vote au printemps, pourrait autoriser le port d'armes au Pima Community College, école où Jared Lee Loughner a étudié.

Des faits qui ébahissent les journalistes nationaux et internationaux dépêchés à Tucson cette semaine.

Depuis samedi, le téléphone de Trent Humphries, cofondateur du groupe Tea Party de Tucson, sonne jour et nuit. Grand amateur d'armes à feu, Humphries explique patiemment que la culture est différente en Arizona.

«Les amateurs d'armes, comme tout le monde, ont été affectés par la tuerie de samedi, dit-il durant un entretien avec La Presse. Les gens ont perdu des voisins. Moi-même, je connaissais des victimes. C'est une période difficile.»

Pourquoi sont-ils plus à fleur de peau que la population générale, qui ne voit pas de mal à discuter de la fusillade? «Ils ont l'impression d'être montrés du doigt, alors que dans les faits, ils n'ont rien à se reprocher.»

Floride de l'Ouest

État vaste et diversifié, l'Arizona a toujours été une oasis pour les gens venus d'ailleurs pour refaire leur vie. Surnommé la «Floride de l'Ouest», l'État attire aussi des retraités de partout en Amérique du Nord. Un peu plus d'un million de personnes habitent la région métropolitaine de Tucson. La moitié d'entre eux sont arrivés depuis l'an 2000.

Séjournez en Arizona et vous verrez des paysages uniques, des villes accueillantes et plusieurs communautés qui ne jurent que par les médecines douces, la nourriture bio et le respect de l'environnement.

Tucson, ville universitaire, est prisée par les amateurs de cyclisme, qui viennent s'y entraîner l'hiver. Lance Armstrong a longtemps loué une maison au sommet du mont Lemmon, qui domine la région du haut de ses 2791 mètres.

Originaire de l'Ohio, John Garcetti passe ses hivers à Tucson avec sa femme depuis qu'il a pris sa retraite, en 2005.

«À Tucson, on croise des gens de partout dans le monde, dit-il. On entend parler plusieurs langues. Ce n'est pas une petite ville fermée sur elle-même.»

M. Garcetti ne possède pas d'arme à feu. Il dit en voir très rarement autour de lui. «Ce n'est pas quelque chose de visible», indique-t-il, avant d'ajouter qu'il aimerait voir les lois être resserrées pour éviter que des individus atteints de problèmes mentaux puissent acheter une arme facilement.

En 2009, l'Arizona avait un taux d'homicide de 5,4 par tranche de 100 000 habitants, alors que la moyenne nationale est de 5 pour 100 000 habitants aux États-Unis. Selon les statistiques du FBI, les crimes violents sont en baisse en Arizona - comme ailleurs au pays.

Barbara Norrander, professeure de politique publique et gouvernementale à l'Université d'Arizona, à Tucson, affirme ne pas voir beaucoup d'armes au jour le jour. Le fait que des gens autour d'elle puissent être armés, au cinéma ou à la banque, par exemple, ne fait pas partie de ses préoccupations.

«Ce n'est pas une chose qui m'occupe l'esprit, dit-elle en entrevue. Au quotidien, les gens sont plus préoccupés par le trafic que par le port d'armes.»

La représentante démocrate Gabrielle Giffords, grièvement blessée dans la tuerie de samedi dernier, est elle-même propriétaire d'un Glock 9 mm, une arme identique à celle qui a été employée dans a fusillade, note Mme Norrander.

«Les armes font partie d'une longue tradition en Arizona. Je crois qu'il va être difficile de changer cette culture.»

En fin de semaine, Crossroads of the West, une grande foire sur les armes à feu, fait escale à Tucson. L'événement, qui attire chaque année des milliers de personnes, aura lieu sur un terrain public, à 20 kilomètres du lieu de la tuerie de samedi dernier. Les organisateurs ont dit n'avoir aucune intention de l'annuler. «Les ventes d'armes ont augmenté depuis samedi», a dit Lois Chedsey, un organisateur.

Inquiétude chez des républicains

Le mélange des armes et de la politique, toutefois, suscite l'inquiétude en Arizona. Pour des politiciens et des élus républicains, la tuerie a touché une note plus personnelle. Plusieurs d'entre eux ont remis leur démission au lendemain de la fusillade.

Anthony Miller, élu républicain du district 20, a quitté son poste cette semaine. Il venait d'être réélu pour un mandat d'un an en décembre. Proche supporteur de John McCain, Miller, qui est afro-américain, était devenu une cible des partisans du Tea Party, qui ont appuyé le candidat plus radical J.D. Hayworth aux primaires républicaines.

Dans un courriel envoyé à la direction du parti après la fusillade, Miller dit craindre pour la sécurité de sa famille. «Aujourd'hui, ma femme depuis plus de 20 ans m'a demandé : "Crois-tu que des membres de ton comité vont tirer sur notre maison?" C'est pourquoi j'ai décidé de démissionner du poste de président du district. J'aime le Parti républicain, mais je ne suis pas prêt à prendre une balle.»

Trois autres élus républicains en Arizona ont démissionné cette semaine, dont Jeff Kolb, qui était un porte-parole du parti à Phoenix.

«Cette obsession pour trouver le moyen de déloger Anthony (Miller) est l'une des principales raisons qui me poussent à démissionner», a-t-il dit dans un courriel diffusé par les médias.

Au-delà des divisions

Peu de politiciens sont allés bien loin en Arizona en faisant campagne pour un plus grand contrôle des armes à feu. Candidate centriste, Gabrielle Giffords aimait rappeler en entrevue qu'elle était «une excellente tireuse». Lors d'un séjour en Afghanistan, la politicienne s'est fait photographier alors qu'elle faisait mine de tirer avec un fusil d'assaut AK-47.

Pour Barbara Norrander, la réforme, si elle devait avoir lieu, viendra de Washington. «Seul le gouvernement fédéral peut renforcer la loi. Au niveau des États, c'est difficile, car le sujet soulève les passions.»

La tragédie débouchera peut-être sur un contrôle plus serré sur la vente des armes à l'échelle nationale, mais l'Arizona continuera d'être un État très permissif, croit Trent Humphries, du Tea Party.

«En Arizona, c'est un enjeu qui va au-delà des divisions gauche/droite. Il y a des gens qui veulent resserrer ces lois, mais ils ne forment pas la majorité, même au sein du Parti démocrate. Ce n'est pas un sujet qui récolte beaucoup d'appuis.»