À l'instar des sinistrés québécois, plusieurs centaines de ménages américains, dans le Vermont, sont aux prises depuis plusieurs semaines avec des inondations historiques.



La scène est familière dans les rues de Colchester, petite municipalité située tout juste de l'autre côté de la frontière. Le lac Champlain, majestueux, s'étend au loin jusqu'à la silhouette des Adirondacks, dans l'État de New York.

Brian Ducharme, protégé par ses bottes de pêche, avance dans 60 cm d'eau en tirant derrière lui un canot dans lequel se trouvent des sacs d'ordures et deux paniers de linge sale. M. Ducharme et sa famille sont parmi les rares à ne pas avoir déserté le quartier inondé.

Ici, la plupart des riverains vivent dans de luxueuses maisons. Grâce à plusieurs pompes, à une digue bricolée avec des sacs de fertilisant et à beaucoup de détermination, M. Ducharme parvient depuis un mois à garder sa maison relativement au sec.

«C'est comme si on faisait du camping dans une très belle tente!», lance M. Ducharme, qui «résiste» avec sa femme et leurs trois fils. Quand son moral baisse, il a trouvé un bon moyen de se changer les idées: il s'empare de sa baguette de billard et sonde la rue pour harponner des carpes. «J'en ai attrapé trois jusqu'à présent, dont une de 27 pouces!», assure M. Ducharme.

«On essaie de voir ça comme une aventure. On a même des amis qui viennent nous voir pour le plaisir de faire du canot dans les rues. C'est l'expérience d'une vie», ajoute-t-il, avant de regagner la terre ferme pour se rendre au travail.

Le paysage a bien changé depuis un mois pour les riverains de Colchester. Les plages sablonneuses sont devenues des monticules de branches et de troncs d'arbre transportés par les vagues.

500 ménages touchés

Au bout de la rue, Buzz Hoerr nous offre une visite guidée de son terrain inondé. Directeur du Comité de consultation citoyen du lac Champlain, il estime à plus de 500 le nombre de ménages touchés par les inondations. Celles-ci ont toutefois fait moins de dégâts qu'en Montérégie, et seulement quelques municipalités sont touchées. L'armée ou la Garde nationale ne patrouillent pas dans les rues, mais les autorités mettent des sacs de sable à la disposition des sinistrés. «Non seulement on n'a jamais vu ça, mais on n'aurait jamais pu prévoir ça non plus», souligne M. Hoerr, qui habite sa maison depuis 32 ans.

Malgré des dégâts estimés à plusieurs milliers de dollars et des moments d'abattement, il n'a pas l'intention de faire ses valises. «Ça fait quatre fois que l'eau monte et redescend. Émotivement, c'est difficile. Il faut aussi se demander si la situation actuelle est exceptionnelle ou s'il s'agit d'une nouvelle réalité», dit M. Hoerr.

Une chose est sûre: le comité qu'il dirige depuis 16 ans aura du pain sur la planche au cours des prochains mois. «Habituellement, les gens se plaignent surtout des algues bleues et du taux de phosphore dans le lac, tandis que là...»

Murets de protection

Sans jeter la pierre aux Québécois, Buzz Hoerr croit que les nombreux murets de protection érigés par les riverains le long de la rivière Richelieu ont peut-être eu pour effet de faire grimper le niveau du lac Champlain. «L'eau du lac se jette ainsi plus difficilement dans la rivière Richelieu et finit par s'accumuler ici, en amont», résume-t-il.

Un peu plus loin, Laura Merchant s'affaire au nettoyage son terrain. Elle brûle du bois que les vagues ont transporté chez elle. Malgré l'ampleur de la tâche, elle garde le moral, d'autant plus que la maison qu'elle partage avec son mari a pour l'instant été épargnée. «On pompe et on croise les doigts», souligne-t-elle.

À Colchester Point, dans un autre secteur inondé, les quelques maisons et chalets ont été abandonnés. Devant une résidence, une pancarte «à vendre» annonçant une réduction de prix a l'air d'une blague de mauvais goût. Des feuilles de contreplaqué ont été placardées sur plusieurs maisons. Une odeur nauséabonde flotte dans l'air. À l'occasion, on aperçoit une ombre nageant dans les eaux brunes.

Sur une table déglinguée, un drapeau américain flotte mollement au milieu de ce spectacle de désolation.

Burlington

À Burlington, les inondations compromettent les activités du traversier qui relie le Vermont à Port Kent, dans l'État de New York. «Notre saison ne pourra pas commencer à la mi-juin comme prévu. On ne sait pas quand le transport pourra reprendre», explique Heather Stewart, directrice de l'exploitation des traversiers du lac Champlain.

Pour atteindre son bureau, il faut marcher une bonne distance dans un demi-mètre d'eau. La vision de tous ces employés en bottes de pêche est d'ailleurs plutôt surréaliste. «On aime l'eau, mais pas à ce point-là! Habituellement, c'est sec, ici», dit Mme Stewart en montrant un vaste stationnement transformé en lac.

Plus de 100 véhicules empruntent chaque jour le traversier. Les usagers sont pour la plupart des touristes, comme ce couple du Massachusetts, incrédule devant le stationnement inondé à l'entrée quai d'embarquement.

La plupart des gens interrogés mardi n'avaient pas entendu parler des inondations qui frappent le Québec, de l'autre côté de la frontière. Certains en avaient vaguement eu écho.

Signe qu'ils en ont peut-être eux-mêmes plein les bras avec leurs propres problèmes.

Photo: Patrick Sanfaçon, La Presse

Laura Merchant nettoie les berges du lac Champlain devant chez elle.