Dans le film Lord of War, version hollywoodienne de la vie du légendaire trafiquant d'armes russe Viktor Bout, un policier obstiné finit par arrêter le personnage principal, incarné par Nicolas Cage, qui est aussitôt relâché sur l'ordre d'un haut placé américain.

Dans la vraie vie, l'ancien officier de l'armée de l'air soviétique, aujourd'hui âgé de 44 ans, a longtemps semblé jouir de la même protection. Et ce, malgré un mandat d'arrêt international lancé contre lui par Interpol en 2002 et une pléthore de rapports onusiens dénonçant son rôle dans de nombreux conflits, notamment en Afrique. Décrit comme un «marchand de mort» dans un livre sur sa vie, Viktor Bout a commencé à inonder d'un flot d'armes les pays pauvres en guerre après l'effondrement de l'empire soviétique, qui lui a donné accès à une flotte d'avions désormais inutiles et à des arsenaux pleins à craquer.

Proche de certains de ses clients, dont Mobutu Sese Seko, au Zaïre, et Ahmad Chah Massoud, en Afghanistan, le «Bill Gates des trafics» (un autre de ses surnoms) n'a pas hésité à vendre des armes à leurs ennemis. Il a même mis son formidable réseau logistique à la disposition de l'ONU, de la France et des États-Unis, qui ont notamment fait appel à ses services pour le transport de Casques bleus au Timor oriental, de soldats français au Rwanda et de matériel militaire en Irak.

Mais l'impunité présumée de Viktor Bout a pris fin en mars 2008 lorsqu'il est tombé dans un piège tendu par des agents de la Drug Enforcement Administration (DEA) américaine à Bangkok. Extradé aux États-Unis en novembre 2010, il sera jugé devant un tribunal fédéral de Manhattan, où son procès doit s'ouvrir aujourd'hui avec la sélection des jurés.

Vie de trafics

Le procès criminel pourrait aboutir à l'emprisonnement à vie de Viktor Bout, mais il n'est pas acquis qu'il permettra de faire toute la lumière sur ses trafics, sur ses liens avec les gouvernements, dont celui de la Russie, et sur ses sociétés aussi nombreuses qu'opaques.

Le Russe, qui a perdu une trentaine de kilos en prison mais conservé sa moustache, a été inculpé à New York pour complot en vue de procurer du soutien matériel à une organisation terroriste, en l'occurrence les FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie). Au moment de son arrestation, dans un hôtel de luxe de Bangkok, il croyait finaliser avec trois représentants de la guérilla marxiste une transaction de plusieurs millions de dollars. Selon l'acte d'accusation, ses interlocuteurs, qui étaient en réalité des agents de la DEA, s'étaient entendus avec lui sur le parachutage dans le maquis colombien d'un arsenal comprenant 5000 fusils d'assaut AK-47, 700 missiles sol-air, des millions de munitions, des mines et des explosifs.

Le procès new-yorkais devrait se limiter à l'exploration des chefs d'accusation liés à cette affaire, et non pas s'étendre à l'ensemble de l'«oeuvre» de Viktor Bout. Dans une entrevue accordée au journal français Le Figaro en avril 2010, le trafiquant a clamé son innocence tout en se décrivant comme un «homme d'affaires, honnête et consciencieux» qui profitait de son séjour en prison pour relire ses auteurs préférés, dont Gogol, Tolstoï et Kessel, et ajouter le turc et l'hindi à la demi-douzaine de langues qu'il maîtrise déjà.

Né au Tadjikistan, Viktor Bout a fait ses études à l'Institut militaire des langues étrangères, vivier de l'espionnage soviétique. Peu après l'éclatement de l'URSS, il se trouvait en Angola, où on l'avait expédié comme traducteur, lorsqu'il a entrepris sa carrière de trafiquant en achetant pour presque rien deux avions cargo. En 2005, le Trésor américain, qui venait de geler une partie de ses avoirs, le disait «capable de transporter des chars, des hélicoptères et des armes à n'importe quel endroit dans le monde».

Outre Mobutu et Massoud, sa liste de clients a inclus les talibans, Al-Qaïda, Charles Taylor au Liberia, les rebelles de l'UNITA et les pouvoirs militaires du Congo et de Sierra Leone, entre autres. Il aurait accepté en guise de paiement non seulement des dollars et des diamants, mais également de la drogue et des poulets congelés.

Il prétend ne pas avoir de leçon de morale à recevoir des États-Unis.

«Les États-Unis, chantres de la moralité, vendent pour 46 milliards de dollars d'armes et me prennent pour un concurrent», a-t-il dit au Figaro

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