«Pourquoi est-ce toujours les femmes? Pourquoi sommes-nous les seules à avoir des couilles ici?»

À en croire Confidence Men, le plus récent livre de Ron Suskind sur l'administration Obama, ces questions ont été posées en août 2010 par Christina Romer, alors présidente du Conseil des conseillers économiques de la Maison-Blanche, à Elizabeth Warren, professeure de Harvard, spécialiste du droit de la faillite et bête noire des banques.

La logique voulait que Warren soit chargée de la mise en place du Bureau de protection financière des consommateurs, une agence créée par la réforme de Wall Street promulguée par le président en juillet 2010. Après tout, l'idée même d'une telle structure était la sienne. Or, le principal conseiller économique du président, Lawrence Summers, et le secrétaire au Trésor, Timothy Geithner, entre autres piliers masculins de l'administration Obama, s'opposaient à la nomination de l'universitaire. D'où la remarque de Romer, qui appuyait la candidature de Warren.

Barack Obama a fini par trancher en faveur de son «amie» de Harvard, qui a réalisé en huit mois la mise en place du Bureau. Mais le président n'a pas osé lui confier la direction de la nouvelle agence, les républicains ayant notamment promis de bloquer une nomination de Warren. Et c'est ainsi que la professeure est retournée à Cambridge, au Massachusetts, où elle a décidé à la mi-septembre de briguer l'ancien siège d'Edward Kennedy au Sénat des États-Unis, qui sera remis en jeu en 2012 après avoir été enlevé en 2010 par le républicain Scott Brown.

Depuis lors, le coeur de la gauche américaine bat plus fort que jamais pour cette femme de 62 ans qui promet de continuer à se battre pour aider les familles d'une classe moyenne aux abois.

«Washington est manipulé par les grandes entreprises qui embauchent des armées de lobbyistes. Une grande société comme GE ne paie rien en impôts et nous demandons aux étudiants universitaires de s'endetter encore davantage pour obtenir une éducation; nous disons aux aînés qu'ils doivent vivre avec moins. Ce n'est pas correct, et c'est la raison pour laquelle je brigue un siège au Sénat des États-Unis», a déclaré Warren dans une vidéo diffusée le jour du lancement de sa campagne.

Quelques jours plus tard, la démocrate au look très professoral - cheveux blonds coupés au carré, lunettes rondes - a tenu la vedette d'une autre vidéo qui a connu un succès viral sur l'internet. On la voyait répondre, lors d'une assemblée de cuisine, à l'antienne républicaine selon laquelle l'idée d'augmenter les impôts des plus riches relève de la «lutte des classes».

«Non! a-t-elle lancé. Personne dans ce pays n'est devenu riche tout seul. Vous avez construit une usine? Tant mieux pour vous. Mais soyons clairs: nous avons payé pour les routes sur lesquelles vous transportez vos marchandises. Nous avons payé pour l'éducation des travailleurs que vous embauchez. Nous avons payé pour les policiers et les pompiers qui assurent la sécurité de votre usine.»

Et Warren d'ajouter: «Alors voilà, vous avez construit une usine ou vous avez eu une idée qui a bien marché, Dieu soit loué, gardez une grosse part de vos gains. Mais une partie du contrat social veut qu'une autre part aille à ceux qui vous suivent.»

Le discours d'Elizabeth Warren ressemble en plusieurs points à celui des manifestants du mouvement Occupy Wall Street. Mais ce discours, la professeure de droit ne le tient pas depuis hier. Née au sein d'une famille modeste de l'Oklahoma, elle s'est intéressée en tant qu'universitaire aux circonstances qui mènent les gens de la classe moyenne à déclarer faillite. Ses conclusions l'ont conduite à devenir active dans la défense des consommateurs devant les banques.

Et son expertise a contribué en 2008 à sa nomination par le Congrès à la tête d'un comité chargé d'évaluer le plan de sauvetage de Wall Street (TARP). Dans ce rôle, elle s'est montrée critique non seulement à l'égard des banques, mais également du secrétaire au Trésor, Tim Geithner. Celui-ci ne lui aurait pas pardonné la série de questions pointues qu'elle lui a posées lors d'une audition publique, en septembre 2009.

Des questions comme celle-ci, qui a été immortalisée sur YouTube, au grand dam de Geithner: «A.I.G. [géant de l'assurance] a reçu environ 70 milliards de dollars dans le cadre du TARP et environ 100 milliards de dollars en prêts de la Fed. Savez-vous où cet argent est allé?»

Le secrétaire au Trésor n'a jamais répondu clairement à cette question. Si elle est élue au Sénat, Elizabeth Warren finira peut-être par fournir la réponse aux contribuables.