Caché dans les montagnes Santa Monica, à Los Angeles, un ancien camp nazi construit dans les années 30 par des sympathisants d'Adolf Hitler est abandonné depuis des décennies. Notre correspondant est allé y faire un tour.

La chaîne de montagnes Santa Monica, dans l'ouest de Los Angeles, est connue pour ses centaines de kilomètres de sentiers de randonnée et ses villas de millionnaires.

Au printemps, on y sent la sauge, le romarin et l'air salin de l'océan Pacifique.

C'est ici, dans un canyon à quelques kilomètres de Hollywood, que des sympathisants nazis avaient décidé de bâtir leur camp.

Près de 80 ans plus tard, on peut voir les vestiges de leur société secrète: des escaliers en béton de centaines de marches parcourent le terrain abrupt de la forêt; des écuries en bois s'élèvent près de piles de métal rouillé; des bâtiments en brique et en pierre sont envahis par les ronces et les lauriers de Californie - et régulièrement recouverts d'une nouvelle couche de graffitis.

Le sud de la Californie possède son lot d'histoires étranges et de personnages insolites. Celle du camp nazi est certainement l'une des plus invraisemblables.

«C'est l'une de ces histoires qui vous font dire: «Vraiment?»», note Randy Young, auteur et historien local spécialisé dans la région de Los Angeles. Tous les gens de la région sont surpris quand ils entendent parler du camp nazi pour la première fois.»

La construction du camp, qui occupait 22 hectares, a débuté avant la Seconde Guerre mondiale et s'est étalée sur plusieurs années. Le projet, baptisé «Murphy Ranch», a coûté environ 4 millions de dollars, explique M. Young. «En argent d'aujourd'hui, on parle d'environ 30 millions.»

Les terrains du ranch ont été achetés en 1933 par Norman et Winona Stephens, un couple qui avait d'importants intérêts dans les mines d'argent au Colorado. Selon le L.A. Times, les Stephens étaient associés à un Allemand connu sous le nom de Herr Schmidt, agent aux États-Unis pour le compte du gouvernement nazi d'Adolf Hitler.

«Schmidt soutenait avoir des pouvoirs surnaturels et affirmait que Hitler allait s'emparer de l'Europe, ce qui ferait sombrer les États-Unis dans le chaos, explique M. Young. L'idée était de bâtir un camp autonome avec des fascistes, appelés les chemises grises (Silver Shirts), qui seraient prêts, au moment opportun, à former le premier gouvernement militaire nazi aux États-Unis.»

Les Stephens ont donc financé la construction d'une véritable ville dans la vallée reculée. On y trouvait des écuries, des baraques de logement de même qu'une centrale hydroélectrique pouvant fournir de l'électricité au camp. Un garage de plusieurs étages a été érigé. Environ 50 personnes travaillaient et vivaient à temps plein au camp, note M. Young.

Des escaliers en béton, dont l'un compte plus de 900 marches, ont été construits dans les collines boisées entourant la propriété. Selon M. Young, ils étaient utilisés par des gardes pour patrouiller dans le secteur, où étaient cachés d'immenses réservoirs d'eau et de diesel.

«Ils ont installé des potagers en terrasse dans la colline et relié le tout avec un système d'irrigation automatique très avancé pour l'époque. Ils faisaient pousser des arbres fruitiers au milieu de la forêt.»

Les travailleurs qui ont aidé à construire les installations étaient surpris par l'ampleur du projet, dit M. Young, qui a interviewé plusieurs d'entre eux pour écrire un livre sur la région, il y a de nombreuses années. «C'était un projet qui allait au-delà de tout ce qui se passait dans le secteur.»

Les plans de développement du Murphy Ranch montrent qu'une villa de quatre étages avec piscine, gymnase, 5 bibliothèques et 22 chambres devait être construite, ainsi qu'un important réservoir pouvant contenir plus d'un million de litres d'eau. Les plans de la villa avaient été dessinés par l'architecte Welton Becket, qui a plus tard travaillé pour Walt Disney, en plus de dessiner des dizaines d'édifices aux États-Unis, dont la célèbre tour Capitol Records, à Hollywood.

Mais le chantier du Murphy Ranch a été stoppé quand les États-Unis sont entrés en guerre après le bombardement de Pearl Harbor. Le 8 décembre 1941, le lendemain de Pearl Harbor, des agents fédéraux ont fait un raid sur le Murphy Ranch et ont arrêté Schmidt. «L'endroit a ensuite été abandonné», note M. Young.

En 1948, les Stephens ont vendu le ranch à la Huntington Hartford Foundation, qui y a créé une vingtaine de résidences pour artistes. Le projet était dirigé par le compositeur et chef d'orchestre John Vincent, alors professeur à UCLA.

Aujourd'hui encore, on peut voir une vieille camionnette Volkswagen Westfalia couchée sur le côté, près d'un ruisseau asséché. Sur son pare-choc avant se trouve un autocollant «UCLA» qui autorise le véhicule à accéder au stationnement de l'université pour l'année 1969.

L'écrivain Christopher Isherwood, auteur notamment de A Single Man, roman adapté au cinéma par le réalisateur Tom Ford, en 2009, a habité dans les résidences. L'auteur Henry Miller y a brièvement séjourné.

Les bâtiments ont été détruits dans un incendie qui a rasé la vallée, en 1978.

La Ville de Los Angeles a racheté le terrain. Aujourd'hui, l'État de la Californie possède une section de la vallée, appelée Rustic Canyon, qui fait partie du Will Rogers State Park.

Depuis des années, les installations abandonnées du camp nazi attirent les graffiteurs, qui peignent sur les murs de béton jadis érigés par Schmidt et ses employés. L'État entend raser les ruines du Murphy Ranch pour y créer un parc où les visiteurs pourront venir pique-niquer.

Ce jour-là, les pelles mécaniques vont rendre à la vallée son état sauvage, et la terre remuée marquera la fin d'un secret.