C'est sans doute la seule procédure parlementaire à avoir servi de ressort dramatique à un film hollywoodien. Dans Monsieur Smith au Sénat, le classique de Frank Capra, le personnage principal, incarné par James Stewart, se sert de la règle du «filibuster», terme emprunté à la piraterie, pour bloquer à lui seul l'adoption d'un projet de loi conçu par des sénateurs corrompus.

Les flibusteries à la James Stewart sont devenues rares au Sénat américain. Mais, jusqu'à hier, cette procédure permettait encore à une minorité d'imposer un seuil de 60 voix (sur 100) pour l'adoption d'un projet de loi ou l'approbation d'une nomination du président à un poste de juge fédéral ou de membre de l'exécutif.

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Or, par 52 voix contre 48, la majorité démocrate du Sénat a décidé hier de limiter la portée du «filibuster», suscitant l'indignation de la minorité républicaine.

Désormais, une majorité simple de sénateurs suffira pour approuver les nominations du président aux postes de juges fédéraux ou de membres de l'exécutif. La procédure du «filibuster» demeurera cependant en vigueur en ce qui concerne les projets de loi et les nominations à la Cour suprême des États-Unis.

Le Sénat est aujourd'hui composé de 53 démocrates, 45 républicains et deux indépendants.

«Obstruction» dénoncée

«Il est temps de changer le Sénat avant que cette institution ne devienne obsolète», a déclaré Harry Reid, chef de la majorité démocrate, accusant les républicains d'avoir bloqué 82 nominations présidentielles sous Barack Obama, soit tout près de la moitié du nombre total des nominations bloquées dans l'histoire des États-Unis.

Le président démocrate a salué la décision du Sénat, tout en dénonçant «l'obstruction sans précédent» des républicains du Congrès.

«Ce n'est pas ce que nos pères fondateurs envisageaient», a dit Barack Obama, qui avait vu la semaine dernière la minorité républicaine bloquer la nomination de son troisième candidat à la Cour d'appel fédérale de Washington, la plus importante instance après la Cour suprême.

«Cette campagne délibérée et déterminée pour tout bloquer, quel qu'en soit le bien-fondé, simplement pour revenir sur les résultats d'une élection, n'est pas normale», a ajouté le président.

Affichant un air incrédule, Mitch McConnell, chef de la minorité républicaine du Sénat, s'est insurgé contre la manoeuvre des démocrates, qu'il a accusés d'avoir «violé les règles pour changer les règles».

«Vous pensez que c'est dans l'intérêt supérieur des États-Unis et du peuple américain? a demandé le sénateur du Kentucky dans l'enceinte du Sénat. Je dis à mes amis de l'autre côté de l'allée: «Vous allez le regretter. Et vous le regretterez peut-être plus tôt que vous ne le pensez», a-t-il ajouté en faisant allusion aux élections de mi-mandat de novembre 2014.

Preuve de la gravité de la situation, les 100 élus du Sénat étaient présents lors de l'échange entre Harry Reid et Mitch McConnell.

Chez les républicains, le sénateur de l'Arizona John McCain a déclaré après le vote que le changement à la règle du «filibuster» représentait une entorse «dévastatrice» à la tradition du Sénat. «La minorité ne sera plus capable d'avoir un impact», a-t-il dit.

Chez les démocrates, le sénateur de l'Iowa Tom Harkin a qualifié le changement de «grand pas dans la bonne direction».

Rôles inversés

En 2006, lors d'un débat semblable, les rôles étaient inversés. Les républicains, alors maîtres du Sénat, menaçaient de limiter la portée du «filibuster» pour permettre à une majorité simple d'approuver les nominations de George W. Bush aux postes de juges fédéraux. Et les démocrates, dont Joe Biden, les mettaient en garde contre une telle manoeuvre, qu'ils assimilaient à un «coup d'État».

Les républicains avaient fini par décider de ne pas changer les règles. Mais, minoritaires sous Barack Obama, ils ont utilisé le «filibuster» à maintes reprises pour bloquer non seulement les nominations du président démocrate, mais également ses réformes sur l'immigration, le climat et les armes à feu, entre autres.