L'aube pointait à Damas lorsque Adel a appris la suspension temporaire du décret Trump. Ce jeune diplômé en droit a sauté du lit et réservé un billet pour rejoindre son épouse Lamia aux États-Unis avant que la loi ne change de nouveau.

«Je dormais quand ma femme m'a appelé (samedi) pour me prévenir (...) et je n'ai pas fermé l'oeil depuis», raconte dimanche le jeune homme de 25 ans à l'AFP.

Adel avait obtenu le visa américain tant convoité après un an d'allers et retours à l'ambassade des États-Unis au Liban --la représentation en Syrie ayant fermé ses portes après le début de la guerre en 2011.

Il avait confié à l'AFP le 30 janvier vivre un «cauchemar» depuis la décision de Donald Trump d'interdire l'entrée aux États-Unis des ressortissants de sept pays à majorité musulmane --dont la Syrie--, craignant de ne plus pouvoir rejoindre Lamia qu'il a épousée à Damas il y a un an.

Mais vendredi, un juge fédéral de Seattle, James Robart, émet une injonction temporaire qui a effet sur l'ensemble du territoire américain, bloquant temporairement le décret présidentiel.

La décision a eu pour effet dès samedi de rouvrir les frontières américaines aux ressortissants d'Iran, Irak, Libye, Somalie, Soudan, Syrie et Yémen, ainsi qu'aux réfugiés.

«L'important maintenant est qu'il prenne l'avion le plus vite possible et qu'il atterrisse aux États-Unis avant que ce fou ne signe un nouveau décret», affirme à l'AFP Lamia, 22 ans, porteuse de la double nationalité syrienne et américaine.

Face à l'incertitude qui entoure aujourd'hui les retrouvailles des époux et leurs démarches auprès de l'administration américaine, ils préfèrent raconter leur histoire avec des prénoms d'emprunt.

Les valises de l'espoir

Les proches d'Adel se pressent chez lui et l'aident à porter ses valises dans le coffre de la voiture qui doit le conduire à l'aéroport de Beyrouth, où il va embarquer pour Amman puis New York. Le jeune homme se prend en photo avec sa famille devant sa maison.

De nombreux ressortissants des sept pays visés par le décret Trump avaient été retenus dans les aéroports américains à leur arrivée ou empêchés d'embarquer au départ d'autres pays, suscitant de vives protestations internationales et la condamnation des organisations de défense des droits de l'Homme.

Les valises d'Adel, qu'il avait soigneusement préparées la semaine dernière, sont restées fermées, entassées les unes sur les autres.

«J'ai senti que l'espoir se trouvait à l'intérieur de ces valises et qu'en les ouvrant, c'était comme si je m'avouais vaincu», confie-t-il.

«Elles sont toutes restées fermées, sauf une où j'avais gardé des effets personnels essentiels».

Lamia, qui dit être restée optimiste en assistant à la mobilisation des citoyens américains contre le décret Trump, appelle souvent pour s'assurer que son époux a tous les documents nécessaires.

«Je ne me sentirai pas à l'aise tant que je ne le verrai pas dans mon appartement», affirme la jeune femme qui habite à New York depuis plus de dix ans.

«J'ai été déçue par le président américain mais je n'ai pas perdu espoir en la démocratie américaine», assure-t-elle.

Quand le décret Trump a été signé le 27 janvier, «j'ai écrit sur l'un des murs de ma cuisine: «J'ai l'espoir qu'on vaincra»».

«Aujourd'hui, j'ai écrit: «On a réussi».»

Un médecin soudanais de retour à New York

Le cauchemar a pris fin dimanche pour Kamal Fadlalla. Accueilli par des cris de joie et des accolades à l'aéroport JFK de New York, le médecin de 33 ans a retrouvé ses proches une semaine après une visite familiale au Soudan.

«Le voilà!», a lancé Osama Mukhtar, un de ses amis lui aussi docteur, en l'apercevant au niveau des arrivées du terminal 4 de l'aéroport John F. Kennedy. Un cri de soulagement, car le retour aux États-Unis de Kamal Fadlalla fut kafkaïen.

Le docteur Fadlalla se trouvait en vacances dans son pays d'origine quand les rumeurs ont commencé à bruisser sur un potentiel décret de Donald Trump qui interdirait l'entrée sur le territoire américain aux ressortissants du Soudan et de six autres pays musulmans.

Il s'est alors précipité pour acheter un billet et avancer son retour. Mais il n'a pas été assez rapide. Le week-end dernier, il se trouvait dans la queue pour embarquer sur son vol quand on lui a signifié qu'il ne pourrait pas voyager, en raison du décret appliqué immédiatement.

Depuis, il a assisté impuissant aux initiatives de ses amis, soutiens et avocats pour tenter de le faire revenir.

Jusqu'à la décision prise vendredi soir par un juge américain, qui a renversé temporairement l'interdiction et rouvert les portes des États-Unis aux ressortissants des pays visés.

«Ça fait du bien» d'être de retour, s'est félicité dimanche Kamal Fadlalla, pull turquoise sur chemise à carreaux, à l'arrivée d'un vol en provenance de Dubaï.

«Cela a été une semaine difficile, mais finalement...», a lâché, détendu, le médecin de Brooklyn, l'un des premiers à avoir rallié les États-Unis en profitant de la décision du juge de Seattle.

Autour de lui, les cris d'un groupe de blouses blanches enthousiastes venues l'accueillir à coups de «bienvenue à la maison».

La première chose que va faire le jeune homme originaire de Madani? Appeler sa mère et sa soeur pour leur dire que tout va bien.

«C'était vraiment horrible, choquant», a-t-il confié, à propos du décret migratoire qui vise à garder hors des frontières américaines pour au moins trois mois les citoyens d'Iran, Irak, Libye, Somalie, Soudan, Syrie et Yémen, ainsi que tous les réfugiés.

Vies brisées

«La justice c'est la justice, la loi c'est la loi, c'est un grand pays», a ajouté le praticien, assurant vouloir vite se remettre au travail et revoir ses patients.

Parmi les personnes venues attendre Kamal Fadlalla à l'aéroport, Letitia James, une responsable démocrate de la ville de New York, a jugé «anticonstitutionnel, illégal et immoral» le décret Trump. Selon elle, le président américain a «outrepassé son pouvoir».

«Je crois en la liberté, je crois aux libertés individuelles et je pense que ce médecin, qui a tant fait pour le centre de Brooklyn, mérite une reconnaissance et a besoin de savoir que l'Amérique est un havre de paix», a-t-elle dit aux journalistes.

Khurram Mehtabdin, 30 ans, a lui aussi fait le déplacement, même s'il ne connaît pas personnellement Kamal Fadlalla.

«Il est le genre de personnes qui donnent sa grandeur à ce pays», explique-t-il à l'AFP, dans un jeu de mot avec le slogan de campagne de Donald Trump.

Les parents de M. Mehtabdin sont aussi médecins et sont arrivés 40 ans plus tôt aux États-Unis en vertu du même programme gouvernemental que le Dr Fadlalla.

«Nous sommes tous anéantis. Ce n'est pas seulement pour les médecins, c'est aussi pour les chauffeurs de taxi, les gérants d'épiceries, c'est pour le monsieur-tout-le-monde dont la vie est désormais complètement brisée à cause de cette interdiction ridicule», peste-t-il.

«Je suis vraiment heureux», reprend Osama Mukhtar, ami et confrère de Kamal Fadlalla qui officie dans le même centre médical.

Son fils de six ans peut désormais ranger sa pancarte, sur laquelle étaient inscrits les mots «Tu me manques Kamal».