(Washington) Merrick Garland, le procureur général des États-Unis, siégerait aujourd’hui à la Cour suprême si les sénateurs républicains ne l’en avaient pas empêché.

Mais il se trouve face à une décision tout aussi lourde que celles qu’il aurait prises à la haute cour : poursuivre un ancien président des États-Unis.

Cet ancien juge de 69 ans a personnellement approuvé la perquisition spectaculaire du FBI le 8 août au domicile de Donald Trump en Floride, et c’est à lui de décider s’il doit être inculpé.

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Donald Trump

Cela serait sans précédent pour un ancien locataire de la Maison-Blanche : Richard Nixon avait été gracié par son successeur Gerald Ford avant qu’une inculpation ne soit décidée dans le scandale du Watergate.

Et si Richard Nixon n’avait plus d’influence — il avait démissionné pour éviter une destitution quasi certaine — , ce n’est pas le cas de Donald Trump, dont l’emprise sur le parti républicain est telle qu’il envisage de briguer un nouveau mandat en 2024.

« L’idée même d’inculper un ancien président de quoi que ce soit est assez extraordinaire », note Steven Schwinn, professeur de droit à l’Université de l’Illinois Chicago. « Mais ce que Trump a fait est assez extraordinaire ».

Si la perquisition de sa résidence Mar-a-Lago semble liée à la présence de documents confidentiels, Donald Trump est aussi visé par des enquêtes sur ses efforts pour renverser les résultats de l’élection présidentielle de 2020 et sur son rôle dans l’assaut de ses partisans contre le Capitole le 6 janvier 2021.

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Le FBI a mené une perquisition à la résidence de Donald Trump à Palm Beach, en Floride, le 8 août.

Le milliardaire américain n’a jusqu’ici été poursuivi dans aucune de ces affaires, mais la commission d’enquête parlementaire sur l’attaque du Capitole a donné des pistes que Merrick Garland pourrait suivre.

Reste à savoir s’il va le faire.

À elle seule, la perquisition de Mar-a-Lago a provoqué une tempête politique. Dans un pays si profondément divisé, une inculpation pourrait jeter de l’huile sur le feu.

Merrick Garland a suffisamment de sens politique pour peser les risques, ajoute Steven Schwinn, mais il a aussi d’autres « facteurs difficiles à prendre en considération ».

« D’un côté, M. Garland doit forcément penser à sa mission, qui est de faire respecter la loi », explique-t-il. « D’un autre côté, il sait bien que toute poursuite criminelle contre Donald Trump va enhardir ses soutiens, et qu’il y a déjà eu des violences contre des agents fédéraux. »

« Sans peur ni complaisance »

Donald Trump et ses alliés républicains ont déjà accusé Merrick Garland, qui a été nommé par le président démocrate Joe Biden, d’« instrumentaliser » le département de la Justice à des fins politiques.

« Jamais rien de comparable n’est arrivé à un ancien président des États-Unis », s’est insurgé l’ex-magnat de l’immobilier, se disant victime d’une « chasse aux sorcières ».

Dans les rangs démocrates, certains ont au contraire reproché à Merrick Garland de tarder à inculper un ancien président qui, selon eux, devrait être derrière les barreaux pour avoir fomenté une insurrection.

Diplômé de Harvard, le discret procureur général est familier des affaires très médiatisées.

Merrick Garland avait dirigé l’enquête sur l’attentat d’extrême droite contre les bureaux du FBI à Oklahoma City, qui avait fait 168 morts en 1995.

Il avait aussi traduit en justice Ted Kaczynski, un militant écologiste surnommé « Unabomber », qui envoyait des colis piégés à des universitaires et des compagnies aériennes.

En mars 2016, Barack Obama l’avait choisi pour siéger à la Cour suprême mais les républicains, qui contrôlaient alors le Sénat, avaient refusé de voter sur sa nomination jusqu’à la fin du mandat du président démocrate. Donald Trump avait ainsi pu nommer le juge conservateur Neil Gorsuch.

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Barack Obama a présenté Merrick Garland comme candidat à la Cour suprême le 16 mars 2016.

Très soucieux du respect des règles, Merrick Garland s’efforce de ne pas commenter les enquêtes en cours du département de la Justice. Mais il a été forcé de sortir de sa réserve après la fureur provoquée par la perquisition de Mar-a-Lago.

Reconnaissant un « intérêt public important », à trois mois des élections législatives de mi-mandat, il a souligné que cette décision n’avait pas été prise « à la légère » et que « la loi s’applique à tous équitablement, sans peur ni complaisance ».