Des sources officielles américaines ont fait part de graves problèmes de recrutement au sein de l’armée russe, engluée dans le conflit en Ukraine. Or, l’armée américaine fait aussi face à d’importants enjeux de recrutement. État des lieux.

Le Pentagone multiplie les initiatives pour attirer les jeunes

L’autorisation d’avoir des tatouages visibles. Une hausse substantielle des bonis versés à l’enrôlement. De nouvelles chances données à des candidats recalés — souvent à plus d’une reprise — dans le passé.

PHOTO GORDON WELTERS, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

L’armée américaine peine à attirer des forces fraîches : le Pentagone s’attend à un déficit de 12 000 à 15 000 recrues cette année seulement.

Depuis quelque temps, les Forces armées américaines (FAA) additionnent de telles initiatives dans l’espoir d’endiguer d’importants problèmes de recrutement. D’ailleurs, cette année, la direction reconnaît déjà que les quotas fixés ne seront pas atteints.

« Je crois qu’au cours de la présente année financière, notre manque à gagner sera d’entre 12 000 et 15 000 recrues », a indiqué Christine Wormuth, secrétaire de l’armée américaine, dans une entrevue diffusée le 11 août sur NBC News.

Dans l’armée des États-Unis, l’année financière se termine le 30 septembre. En date de l’entrevue de Mme Wormuth, l’institution avait atteint 52 % de ses objectifs de recrutement.

PHOTO MICHAEL PROBST, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Seulement 9 % des jeunes Américains en âge de s’enrôler envisagent de le faire, selon un sondage mené l’an dernier par le ministère de la Défense.

Un sondage mené à l’automne 2021 par le département de la Défense indiquait que seulement 9 % des jeunes en âge de servir envisageaient de le faire.

Les causes

Plusieurs causes expliquent ce faible engouement : pandémie, taux de chômage très bas, cas d’agressions sexuelles, impact de la présence militaire américaine en Irak et en Afghanistan dans l’inconscient collectif, etc.

Mais une des raisons laisse pantois. Le nombre de candidats dont le profil correspond aux exigences minimales de l’armée est très bas.

Ainsi, seulement 23 % des candidats de 17 à 23 ans répondent aux qualités physiques, mentales et morales exigées.

De nombreux candidats sont disqualifiés en raison de problèmes de poids, de drogue ou parce qu’ils ont un dossier criminel.

Il y a quelques années, ce taux de qualification était de 29 %.

Pour donner une nouvelle chance à des candidats recalés dans le passé, les FAA ont mis sur pied des programmes de rattrapage (genres de prep schools) où l’on enseigne de tout : calcul, grammaire, nutrition, hygiène, etc. Ceux qui réussissent le programme sont ensuite invités à commencer l’entraînement de base.

Autre frein, la pandémie des deux dernières années a miné les efforts de recrutement. Les recruteurs n’ont pu aller à la rencontre des jeunes dans les écoles, les foires et les autres lieux publics.

PHOTO MICHAL DYJUK, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Un soldat américain s’entraînait à bord du USS Kearsarge en mer Baltique, le 2 septembre dernier

Selon Christian Leuprecht, professeur au Collège militaire royal du Canada et à l’Université Queen’s de Kingston, ces carences de recrutement constituent une « certaine réalité qui frappe toutes les forces armées » qu’il connaît.

Et cela entraîne un autre problème, celui de l’entraînement. Pendant la pandémie, on n’a pas pu entraîner les gens comme on le fait traditionnellement. Cela s’est traduit par un décalage entre ceux qui entraient dans l’organisation et ceux qui ont un entraînement adéquat.

Christian Leuprecht, professeur au Collège militaire royal du Canada et à l’Université Queen’s

« Cela a des répercussions importantes sur les objectifs de protection du territoire, le succès des missions et les attentes du public », poursuit-il.

Les solutions

Afin d’endiguer et de renverser la situation, l’armée américaine explore un large spectre de solutions. Il y a de tout. Y compris un appel à des militaires... youtubeurs.

Le recrutement dans les corridors des écoles secondaires et à l’entrée des supermarchés est archaïque, indique-t-on dans un article du journal Air Force Times dans lequel plusieurs youtubeurs comptant des milliers d’abonnés donnent leur opinion.

« Nous disons les vraies affaires. Du moins, en ce qui a trait à notre vécu personnel, relève ainsi l’aviatrice de première classe et technicienne en santé mentale Dominga Harris. Les gens apprécient notre franchise sur ce que nous faisons… ou pas, sans enjoliver ce qui se passe à l’intérieur des rangs. »

Certains youtubeurs créent des tutoriels. Plusieurs répondent à de nombreux courriels de candidats curieux d’en savoir davantage.

Dans les forces navales, on essaie d’attirer les recrues avec de l’argent. Beaucoup d’argent. Un récent article du Navy Times indique que les incitations à l’enrôlement incluent des bonis à la signature pouvant atteindre 50 000 $ et un remboursement de prêts étudiants allant jusqu’à 65 000 $. Les deux mesures peuvent être combinées.

Des vétérans de la marine se font aussi offrir des bonis importants.

PHOTO DELIL SOULEIMAN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Exercice militaire commun des forces américaines
dans le nord-est de la Syrie

Les vétérans à la rescousse ?

Pour Matthew F. Amidon, colonel de la réserve des Marines et directeur de la section vétérans et familles militaires de l’Institut George W. Bush, une partie de la solution passe par l’influence des anciens combattants.

« Il y a 18,8 millions de vétérans dans ce pays et près de 80 % sont très fiers de ce qu’ils ont accompli en uniforme. Plusieurs sont des leaders d’entreprises et d’organisations. Nous devons donc nous assurer de mieux arrimer les relations entre ceux qui ont servi et ceux qui veulent servir », dit-il.

Le colonel Amidon, un Vermontois d’origine, croit aussi qu’il est temps de repenser les critères de sélection des candidats.

« Quand on regarde les domaines de combat de demain, comme la guerre cybernétique, est-ce qu’on a réellement besoin de gens qui vont tous répondre aux conditions physiques traditionnelles pour réussir ? On doit avoir cette conversation. »

Les cas de harcèlement sexuel bondissent en quatre ans

Au cours de la dernière année, le nombre de cas de harcèlement sexuel rapportés dans l’armée américaine a grimpé de 13 %, a récemment rapporté l’agence Associated Press. Cette hausse s’explique notamment par une levée des restrictions des rassemblements dans les bases, imposées durant la pandémie. Mais ça n’explique pas tout. À preuve, le nombre de cas de contacts sexuels non sollicités a pratiquement doublé en quatre ans dans les rangs de l’armée américaine. Ils sont passés de près de 20 000 en 2018 à 36 000 en 2022. Ces chiffres ont été obtenus au cours de sondages confidentiels réalisés auprès des militaires. C’est au sein de l’armée de terre que les problèmes sont les plus criants. « À la taille qu’a l’armée, les cas d’inconduites sexuelles vont continuer de survenir, estime Kyleanne M. Hunter, ancienne pilote d’hélicoptère dans les Marines et politologue à la Rand Corporation. Mais c’est la façon dont on va prévenir et s’occuper de ces cas qui aura un impact. » Mme Hunter donne en exemple la commission indépendante sur le harcèlement sexuel qui a recommandé une réforme du système de justice militaire. « Et cela a commencé avec la création d’un bureau de procureurs de la défense voués aux causes de harcèlement, note Mme Hunter. On doit aussi lier l’avancement et les promotions dans la hiérarchie à une culture faisant échec aux inconduites sexuelles. »

André Duchesne, La Presse, avec l’Associated Press

Personnel actif dans l’armée de terre

2010 : 561 979*

2011 : 561 437

2012 : 546 057

2013 : 528 070

2014 : 504 330

2015 : 487 366

2016 : 471 271

2017 : 472 047

2018 : 471 990

2019 : 479 785

2020 : 481 264

Au 30 juin 2021 : 486 141

Au 30 juin 2022 : 465 239

* Chiffre le plus élevé depuis 1995

Sources : Statista.com et 247wallst.com

103 %

Il y a au moins une bonne nouvelle entourant le recrutement dans l’armée américaine : le taux de rétention. Pour la présente année, celui-ci a atteint 103 % de l’objectif que s’était fixé le ministère de la Défense.

Source : U.S. Army public affairs

Au Canada aussi, le recrutement est ardu

Tout comme aux États-Unis, les Forces armées canadiennes (FAC) éprouvent aussi des difficultés à recruter de nouveaux candidats et peinent à atteindre leurs objectifs annuels.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Devant la menace d’inondations, des militaires canadiens érigent un mur de sacs de sable aux abords de la rivière des Prairies, à Laval, en 2019.

« Pour l’année financière 2022-2023, les FAC ont prévu de recruter 5900 nouveaux membres. Toutefois, chaque mois, elles ne reçoivent que la moitié du nombre de candidats nécessaires pour atteindre cet objectif », précise la lieutenante Geneviève Paris, officière des affaires publiques.

Publiée le 2 décembre 2021, une enquête de La Presse indiquait que la pénurie de main-d’œuvre et le renouvellement des troupes rendaient « utopique » l’objectif de compter 25,1 % de femmes dans les rangs des Forces en 2026.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

L’armée espérait compter 25,1 % de femmes dans ses rangs en 2026, mais l’objectif ne devrait pas être atteint si la tendance se maintient.

Selon la lieutenante Paris, « des efforts de longue date ont permis d’augmenter le pourcentage de femmes à 16,5 % de tous les membres des FAC ». Mais il reste du travail à faire, reconnaît-elle.

Chez les membres des minorités visibles et des peuples autochtones, les objectifs semblent en voie d’être atteints. L’armée canadienne a fixé des objectifs de représentation de 11,8 % et de 3,5 % chez ces deux groupes. À l’heure actuelle, ils forment respectivement 10,8 % et 2,8 % des membres actifs.

Par ailleurs, les FAC recrutent auprès d’une centaine de groupes professionnels de tous les horizons : techniciens de la marine, médecins spécialistes, spécialistes de la communication navale, des systèmes d’information, etc.

Chez plusieurs, une indemnité de recrutement est versée à la signature. Dans la plupart des cas, elle oscille entre 10 000 $ et 20 000 $.

Comme ailleurs, la pandémie, le faible taux de chômage, des cas d’inconduites sexuelles (y compris chez les officiers de haut rang) et d’autres facteurs freinent les efforts de recrutement. Face à cela, les FAC persistent dans l’espoir de bonifier leur image dans l’œil du public et de renverser la tendance.

« L’objectif est de favoriser l’établissement d’un milieu de travail positif, respectueux et inclusif, indique la lieutenante Paris. Pour assurer le soutien des Canadiens au pays et à l’étranger, les FAC ont le devoir de refléter la diversité et le caractère inclusif de la société canadienne. Il n’y a pas de meilleur moment que maintenant pour s’enrôler. »

Une tendance à la baisse

Membres de la force régulière de l’armée canadienne depuis 12 ans

2010-2011 : 68 268 militaires

2011-2012 : 67 941 militaires

2012-2013 : 67 792 militaires

2013-2014 : 67 173 militaires

2014-2015 : 66 429 militaires

2015-2016 : 66 602 militaires

2016-2017 : 66 377 militaires

2017-2018 : 67 299 militaires

2018-2019 : 67 580 militaires

2019-2020 : 67 756 militaires

2020-2021 : 65 642 militaires

2021-2022 : 65 032 militaires

Source : Forces armées canadiennes

97 625

Au printemps 2021, un grand total de 97 625 personnes servaient dans les Forces armées canadiennes, soit dans l’armée régulière, soit dans la force de réserve.

Source : Statistique Canada (recensement de 2021)