(New York) L’ironie veut que le président américain chargé d’assister au dernier hommage à Élisabeth II soit né d’une mère qui avait des sentiments plus que mitigés à l’égard de la reine du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord.

« Ne t’incline surtout pas devant elle ! », a lancé Catherine (Jean) Biden, fière Irlandaise catholique née Finnegan, à son « Joey » en apprenant qu’il allait avoir une audience avec la souveraine britannique au sein d’une délégation de sénateurs, en 1982.

Joe Biden, qui raconte l’anecdote dans Promises to Keep, ses mémoires publiés en 2007, ne précise pas comment il a salué Élisabeth II lors de cette première rencontre. Mais il s’est ouvert sur l’impression que lui a laissée sa deuxième rencontre, quelques mois après son élection à la présidence.

« Je ne pense pas qu’elle en serait insultée, mais elle m’a rappelé ma mère par son apparence et sa générosité », a-t-il dit.

On se demande ce que penserait Jean de cette comparaison. Mais la réaction de Joe Biden n’a rien d’exceptionnel.

Les 13 présidents américains que la défunte reine a connus personnellement sont tous tombés sous son charme, sans exception.

Le tout premier, Harry Truman, a donné le ton en 1951 en accueillant Élisabeth à la Maison-Blanche alors qu’elle était encore princesse.

« Dès que quelqu’un vous rencontre, il tombe immédiatement amoureux », lui a dit le 33président.

PHOTO ARTHUR MARASCO, ARCHIVES NATIONALES DES ÉTATS-UNIS, REUTERS

Élisabeth, encore princesse à l’époque, et le 33président des États-Unis, Harry Truman, à Washington en 1951

Ce sentiment semble aujourd’hui se refléter dans la façon dont les Américains, ou du moins leurs médias, se comportent depuis la mort d’Élisabeth II. Une manchette du New York Times résume l’ambiance : « Élisabeth était-elle la reine de l’Amérique ? Cette semaine, ça semblait être le cas. »

Cette attitude peut étonner de la part d’un pays dont la déclaration d’indépendance dépeint le monarque britannique comme un « tyran ». Mais l’un des rédacteurs de cette déclaration, John Adams, a fini par regretter la façon dont avait été personnalisé dans ce document solennel le conflit entre les colonies américaines et la Grande-Bretagne.

Et il s’est empressé de jeter les bases de la « relation spéciale » entre les États-Unis et le Royaume-Uni dès sa première rencontre avec le roi George III en tant que diplomate, en 1785. Certes, les deux pays étaient séparés par un océan et des formes de gouvernement différentes, mais ils étaient unis par la langue, la religion et la culture, a fait valoir Adams devant un monarque remué.

Amour et conte de fées

Aussi, en 2011, quand Élisabeth II a offert en cadeau à Barack Obama une collection de lettres dont certaines remontaient à la révolution américaine, le récipiendaire a pu ironiser : « Ce n’était qu’une péripétie temporaire dans la relation. »

PHOTO LEWIS WHYLD, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le 44e président des États-Unis, Barack Obama, et la reine Élisabeth II, au palais de Buckingham en 2011

Contrairement à son ex-vice-président, Barack Obama n’a pas vu sa mère dans le monarque, mais sa grand-mère « Toots », femme courtoise et directe qui ne tolérait pas les idiots.

« Elle est vraiment une de mes personnes préférées », a-t-il dit en 2016 après un déjeuner privé au château de Windsor au lendemain du 90anniversaire de naissance d’Élisabeth II.

Ce jour-là, le prince Philip s’était chargé de conduire, en Land Rover, la reine et le couple présidentiel, arrivé dans les jardins du château en hélicoptère, au sein de la propriété pour le déjeuner. Cette rare délicatesse tenait peut-être au fait que la reine était « tombée complètement amoureuse [d’Obama], à tel point qu’elle a souvent demandé à ses courtisans s’ils pouvaient faire en sorte qu’il vienne en Grande-Bretagne » après sa présidence, a écrit l’auteur royal Tom Quinn dans Kensington Palace, ses mémoires publiés en 2020.

PHOTO MATT DUNHAM, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

La reine Élisabeth II et le 45e président des États-Unis, Donald Trump, au château de Windsor en 2018

Donald Trump, lui, a pensé à sa mère lors de sa première rencontre avec la reine. Non pas qu’il ait vu entre les deux femmes une ressemblance. Mais il s’est dit comment sa mère, née en Écosse, aurait été fière de savoir qu’il avait pris le thé avec la souveraine britannique au château de Windsor.

« Je marchais et j’ai dit [à Melania] : “Tu imagines ma mère en train de voir cette scène ?” Windsor. Le château de Windsor », a-t-il raconté par la suite à un intervieweur.

PHOTO BOB DAUGHERTY, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le 40e président des États-Unis, Ronald Reagan, et la reine Élisabeth II faisant une balade à cheval au château de Windsor, en 1982

Dans ses mémoires, Ronald Reagan a également rappelé avoir eu l’impression de vivre un « conte de fées » en compagnie de la reine.

Il a été le premier président américain à être invité à passer la nuit au château de Windsor, en 1982. Et il a accueilli la souveraine dans son ranch de Californie, où les deux se sont adonnés à l’une de leurs passions communes, l’équitation.

PHOTO DOMINIC LIPLINSKI, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

La reine Élisabeth II et le 43e président des États-Unis, George W. Bush, au château de Windsor en 2008

Mais c’est George W. Bush qui aura rencontré la reine le plus souvent parmi les présidents américains : cinq fois.

Avant même d’accéder à la présidence, il aura notamment eu la chance de mesurer son humour, très texan, à celui de la reine, très british.

La scène se passe lors d’un dîner d’État à la Maison-Blanche offert par George Bush père, en 1991. Son fils aîné profite de l’occasion pour montrer à Élisabeth II la nouvelle paire de bottes de cowboy sur laquelle il a fait inscrire « God save the Queen ».

« Êtes-vous le mouton noir de la famille ? lui demande alors la reine.

— Je suppose, lui répond Dubya.

— Toutes les familles en ont », remarque-t-elle.