Jeudi matin, après une nuit infernale, les habitants du centre de la côte ouest de la Floride ont fait le constat des dégâts. On rapportait au moins 19 morts jeudi soir, mais le bilan final pourrait être bien plus élevé.

La côte, notamment de Naples jusqu’à Fort Myers, en passant par Punta Gorda et Cape Coral, était dévastée. Des bateaux de plaisance soufflés et éparpillés, des édifices éventrés, des maisons pulvérisées, des voitures baignant dans un mètre d’eau, parfois davantage, et des décombres de toutes sortes étaient dispersés à perte de vue. Des milliers de personnes étaient prises au piège et devaient être secourues.

Les communautés insulaires de Sanibel et Captiva ont été coupées du monde lorsque le seul pont vers le continent s’est partiellement effondré. Des millions de Floridiens ont été privés de courant.

La région, moins connue que les destinations-soleil de la côte est comme West Palm Beach, reçoit néanmoins quelque 5 millions de touristes par année dans le seul comté de Lee, qui inclut Fort Myers et Cape Coral.

L’ouragan, qui était de catégorie 4 au moment de toucher terre mercredi soir et qui avait été ramené au niveau de tempête tropicale jeudi après-midi, a fait au moins 19 morts dans son sillage, d’après un bilan provisoire de CNN publié jeudi soir. Les dégâts pourraient atteindre 40 milliards de dollars.

PHOTO EVAN VUCCI, ASSOCIATED PRESS

Joe Biden, président des États-Unis, dans les locaux de l’Agence fédérale des situations d’urgences (FEMA) qu’il a visitée jeudi. À ses côtés : Alejandro Mayorkas, secrétaire à la Sécurité intérieure des États-Unis, et Deanne Criswell, directrice de la FEMA.

« Ian pourrait être l’ouragan le plus meurtrier de l’histoire de la Floride », a déclaré le président américain Joe Biden jeudi après-midi alors que l’énorme tempête quittait les côtes du Sunshine State balayé d’ouest en est et fonçait vers celles des deux Carolines.

Une Québécoise inquiète pour sa mère

La mère d’Élisabeth Petit vit à Port Charlotte, à 45 km au nord-ouest de Fort Myers. Son comté a fait l’objet d’un ordre d’évacuation, mais la femme de 70 ans « se sentait dépassée par tout cela et comme « figé », raconte sa fille, sans nouvelle d’elle depuis mercredi matin.

À la dernière minute, Mme Petit a convaincu sa mère, qui vit seule, de se rendre dans un refuge à l’école primaire Kingsway. « J’ai téléphoné les autorités là-bas à 7 h 30 hier matin et ils m’ont dit qu’elle devait s’y rendre dans l’heure sinon elle risquait de ne pas avoir de place ou encore que les portes soient fermées. »

Depuis, c’est le silence radio. Et l’angoisse.

Ce que j’ai vu sur différents médias de la Floride ne me rassure pas. Je crois bien que ce sera un vrai désastre.

Élisabeth Petit, dont la mère vit à Port Charlotte

À des médias, Loretta Worters, porte-parole de l’Insurance Information Institute, a indiqué que les premiers modèles d’évaluation estimaient que les réclamations oscilleraient entre 20 et 40 milliards de dollars américains.

Or, tous les sinistrés ne sont pas assurés, bien au contraire, selon l’organisme Milliman. Dans les comtés où les résidants avaient reçu l’ordre d’évacuer, seules 18,5 % des résidences étaient couvertes par le National Flood Insurance Program (voir autre onglet).

PHOTO ALICIA DEVINE, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Ron DeSantis, gouverneur de la Floride

« Nous n’avons jamais vu des inondations pareilles », a déclaré le gouverneur de la Floride, le républicain Ron DeSantis. « L’ouragan Ian est une tempête dont nous parlerons durant des décennies », a de son côté déclaré Deanne Criswell, l’administratrice de FEMA qui accompagnait le président Biden à sa conférence de presse.

Si le bilan des morts est encore incertain, la déclaration du président Biden laisse présager le pire. « Les premiers rapports évoquent des pertes de vies substantielles », a-t-il dit dans les locaux de l’Agence fédérale des situations d’urgences (FEMA) qu’il a visitée jeudi en début d’après-midi.

Chose certaine, un responsable du comté de Charlotte dans l’ouest de l’État a confirmé la mort de six personnes sur CNN sans donner plus de détails. Dans le comté de Volusia, au nord-est d’Orlando, un homme de 72 ans est mort en tentant de vider sa piscine dans un canal passant à l’arrière de sa maison. Un résidant d’une maison de retraite a aussi perdu la vie dans le comté d’Osceola, à l’est.

Des millions de personnes sans électricité

Aux dégâts s’ajoutent les pannes en alimentation électrique. À 19 h 30 jeudi, près de 2,5 millions de clients étaient toujours sans électricité en Floride selon le site poweroutage.us.

Même des communautés de l’intérieur des terres et de la côte est ont subi des dommages. À Port St. Lucie, environ 80 km au nord de West Palm Beach, les vents puissants ont fait pencher ou tomber des poteaux électriques. Audrey Bednarski, 31 ans, n’avait plus de courant depuis près de 24 heures jeudi soir. Elle et sa famille ont hébergé quatre autres personnes chez eux, une maison équipée de volets conçus pour résister aux ouragans.

Pendant la journée, elle s’est rendue au restaurant où elle et son mari travaillent pour charger son téléphone et prendre un repas chaud. « Il est le gérant de la cuisine et avec la moitié des entreprises fermées, il veut ouvrir et offrir de la nourriture à la communauté », ajoute-t-elle.

Dans sa conférence de presse dans les bureaux de FEMA, le président Biden a indiqué que la Garde côtière des États-Unis déployait 16 hélicoptères, 6 avions à voilure fixe et 18 navires pour les opérations de recherche et sauvetage qui auront cours dans les prochains jours, voire semaines.

Joe Biden s’est aussi engagé à rembourser toutes les dépenses encourues par l’État de la Floride pour déployer les mesures d’urgence et de sauvetage. Enfin, il a mis en garde les compagnies de gaz et de pétrole de ne pas profiter de ce désastre pour hausser les prix des combustibles, un sujet très sensible chez les Américains.

Vers les Carolines

Cela dit, les Américains n’en ont pas fini avec Ian.

PHOTO CURTIS COMPTON, ASSOCIATED PRESS

En Géorgie, au nord de la Floride, des habitants se préparaient à l’arrivée d’Ian, jeudi.

À 14 h jeudi, une mise à jour publiée sur le site du Centre national des ouragans (NHC) des États-Unis indiquait que la tempête pouvait encore se traduire par des inondations pouvant menacer la vie des habitants de la Géorgie et des deux Carolines.

Un avis d’ouragan était d’ailleurs maintenu pour tout le secteur de la côte de la Caroline du Sud entre Savanah River et Little River Inlet.

Avec CNN, le New York Times, l’Associated Press et l’Agence France-Presse

Sans assurance, de nombreux sinistrés sont pris à la gorge

PHOTO STEVE HELBER, ASSOCIATED PRESS

Une femme constate les dégâts dans un quartier inondé de Fort Myers, en Floride, jeudi.

Selon de nouvelles données, la plupart des maisons de Floride situées sur la trajectoire de l’ouragan Ian ne sont pas assurées contre les inondations, ce qui représente un défi majeur pour les efforts de reconstruction.

Dans les comtés dont les habitants ont été invités à évacuer, seulement 18,5 % des maisons sont couvertes par le programme national d’assurance contre les inondations, selon Milliman, une société d’actuariat qui travaille avec le programme.

Dans ces comtés, 47,3 % des foyers situés dans la plaine inondable désignée par le gouvernement, la zone la plus exposée aux inondations, sont couverts par une assurance contre les inondations, selon Milliman. Dans les zones situées à l’extérieur de la plaine inondable – dont beaucoup sont encore susceptibles d’avoir été endommagées par la pluie ou l’onde de tempête de Ian – seulement 9,4 % des maisons sont assurées contre les inondations.

La faible proportion de ménages disposant d’une assurance contre les inondations illustre les défis posés par l’approche du pays en matière de reconstruction après les catastrophes – un mélange de financement public et privé qui est mis à rude épreuve alors que le changement climatique rend ces catastrophes plus fréquentes et plus graves.

Si les gens ne peuvent pas payer la reconstruction de leur maison après une catastrophe, le bilan financier du changement climatique pour les ménages et les communautés pourrait devenir ruineux.

Les polices d’assurance habitation ordinaires ne couvrent généralement pas les dommages causés par les inondations, c’est pourquoi la Federal Emergency Management Agency propose une assurance contre les inondations. Cette couverture est coûteuse, avec des primes moyennes de près de 1000 dollars par an, selon les données de Forbes. Mais sans cette assurance, les propriétaires touchés par les inondations doivent compter sur leurs économies, des prêts ou des dons pour reconstruire.

Des espoirs déçus

Le faible taux d’acceptation de l’assurance fédérale contre les inondations dans les zones touchées par l’ouragan Ian signifie qu’il faudra plus de temps à ces communautés pour se reconstruire, ce qui met en péril leurs économies et prolonge la souffrance, selon les experts.

« Beaucoup de ces personnes croient que leur police d’assurance habitation les couvrira », a déclaré Nancy Watkins, actuaire principale et consultante chez Milliman. « Ou bien elles pensent que l’aide fédérale en cas de catastrophe va débarquer et tout rétablir. »

Mais l’aide fédérale en cas de catastrophe est moins généreuse que ce que beaucoup de gens supposent.

La FEMA offre une aide d’urgence limitée aux propriétaires sans assurance, comme le paiement d’un logement temporaire dans un hôtel, un motel ou une maison mobile, ou la réalisation de réparations de base pour rendre une maison habitable.

Mais la FEMA ne paie généralement pas pour la reconstruction des maisons, comme l’a rapporté le New York Times en juillet. L’aide est limitée à moins de 40 000 dollars, soit une fraction de ce qu’il en coûte pour reconstruire.

Le Congrès peut décider de fournir de l’argent supplémentaire aux survivants de catastrophes, généralement en accordant des fonds au ministère américain du Logement et du Développement urbain, qui peut alors mettre en place ce qu’il appelle des subventions de reprise après sinistre pour les États. Les États peuvent alors utiliser cet argent pour payer la reconstruction des maisons.

Mais le Congrès n’a pas de lignes directrices pour déterminer quelles catastrophes méritent ce financement supplémentaire et l’attribution de celui-ci dépend autant de l’influence politique de la délégation du Congrès d’un État que du niveau réel des dégâts. Même lorsque le Congrès débloque des fonds supplémentaires, il faut souvent des années avant que ces fonds parviennent aux propriétaires.

Les sinistrés qui n’ont pas d’assurance, mais qui ne peuvent pas attendre des années dans l’espoir d’une aide, peuvent demander de l’aide à la Small Business Administration, une autre agence fédérale qui joue un rôle dans la reprise après sinistre. Cette agence accorde des prêts aux locataires, aux propriétaires, aux entreprises et aux organisations à but non lucratif. Mais ces prêts doivent être remboursés – ce qui équivaut à une nouvelle hypothèque, ce qui peut être difficile pour les survivants d’une catastrophe.

Nouveaux prix

Selon Steve Bowen, directeur scientifique de Gallagher Re, un courtier en réassurance, le nombre de propriétaires ayant souscrit une assurance contre les inondations a diminué après une décision récente de la FEMA qui a modifié la manière dont les prix de cette assurance sont déterminés.

L’automne dernier, la FEMA a commencé à fixer le coût de l’assurance contre les inondations en fonction du risque spécifique auquel est exposée chaque habitation. Auparavant, les primes étaient déterminées à partir d’informations plus générales, comme le fait qu’une maison se trouve dans une plaine inondable.

La nouvelle structure de tarification signifie que les taux pour les habitations à haut risque reflètent désormais quelque chose de plus proche du coût réel du risque auquel elles sont confrontées. La FEMA a procédé à ce changement afin que le programme d’assurance soit plus autonome financièrement et qu’il dépende moins du financement des contribuables après les grandes inondations.

L’agence espérait également que des taux plus précis feraient connaître la menace qui pèse sur les biens, incitant peut-être les gens à réfléchir à deux fois avant de vivre dans une zone dangereuse.

Mais la nouvelle tarification s’est traduite par de fortes augmentations des tarifs pour certains foyers.

Après l’entrée en vigueur des nouveaux prix, le nombre de maisons bénéficiant d’une assurance inondation fédérale, qui était déjà en baisse, a commencé à diminuer encore plus rapidement, a déclaré M. Bowen.

Christopher Flavelle, New York Times

Cet article a été initialement publié dans le New York Times.


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  • 125 milliards
    L’ouragan Katrina (2005) qui a ravagé l’État de la Louisiane a été le plus coûteux de l’histoire avec des dommages de 125 milliards USD
    SOURCES : HISTORY.COM ET NATIONAL HURRICANE CENTER