Depuis des années, les Américains LGBTQ+ ont l’habitude d’être la cible des politiciens conservateurs. La récente décision sur l’avortement fait craindre aux membres de la communauté un recul de leurs droits. La Presse est allée à la rencontre de militants d’un organisme de Detroit.

(Detroit, Michigan) En rendant sa décision sur l’avortement en juin dernier, la Cour suprême des États-Unis a tranché : l’interruption volontaire de grossesse n’est pas un droit garanti par la Constitution du pays.

Un des magistrats est allé plus loin.

« Dans les cas futurs, nous devrions reconsidérer tous les précédents de fond de cette Cour en matière de procédure habituelle, notamment Griswold, Lawrence et Obergefell », a écrit dans la décision le juge Clarence Thomas.

Pour les personnes LGBTQ+, la phrase a confirmé une crainte déjà présente depuis que les conservateurs sont devenus majoritaires à la plus haute cour du pays : les droits acquis ne sont pas garants de l’avenir.

Mariage gai

« Griswold, Lawrence et Obergefell » fait référence à trois décisions passées validant le droit pour un couple marié d’utiliser la contraception, la décriminalisation de la sodomie et le mariage entre personnes du même sexe.

Ce dernier droit, confirmé en 2015 par la Cour suprême, est « assurément le plus menacé », juge Jerron Totten, coordonnateur en justice sociale de LGBT Detroit.

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Jerron Totten, coordonnateur en justice sociale de LGBT Detroit

Nous avons des discussions avec nos partenaires de partout au Michigan pour nous préparer au pire, comme nous l’avons fait dans nos discussions pour la liberté reproductive.

Jerron Totten, coordonnateur en justice sociale de LGBT Detroit

Dans les deux bâtiments voisins où loge LGBT Detroit – qui se targue d’être la plus grande organisation LGBT à but non lucratif fondée et dirigée par des Afro-Américains en Amérique du Nord –, des stratégies sont élaborées pour convaincre les électeurs de la communauté de voter aux élections de mi-mandat.

Porte à porte, coups de téléphone, textos, activités festives. Tout pour « faire sortir le vote » le 8 novembre. Sans avoir le droit d’orienter les choix en raison de son statut fiscal – contrairement à sa branche militante, LGBT Detroit Mobilization, qui travaille de près avec Reproductive Freedom for All, groupe qui tente de faire enchâsser le droit à l’avortement dans la Constitution du Michigan lors des élections de mi-mandat.

Ciblés par les politiciens

La communauté LGBTQ+ est particulièrement visée par les candidats républicains un peu partout au pays. La Floride a adopté une loi pour limiter les discussions sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre en classe. La Cour suprême du pays doit trancher prochainement dans la cause d’une graphiste web du Colorado qui invoque sa liberté d’expression pour refuser les couples de même sexe comme clients.

Les questions d’identité de genre chez les enfants et de participation des personnes trans à des compétitions sportives dans le genre auquel elles s’identifient ont été reprises par plusieurs candidats républicains.

Au Michigan, la candidate républicaine au poste de gouverneur, Tudor Dixon, a soutenu une initiative pour criminaliser la participation d’enfants à des spectacles drag.

« Il n’y a pas de preuves qu’il y a un problème, qu’il y a des discussions inappropriées ou des spectacles drag inappropriés dans les écoles », souligne au téléphone Catherine Archibald, professeure agrégée de droit à la University of Detroit Mercy et spécialiste des questions légales LGBTQ+. « Ça semble être davantage une façon politique de jouer sur les peurs des gens, aux dépens de la communauté LGBT du Michigan, qui a fait des gains dans les dernières années. »

Une de ces victoires est survenue l’été dernier : la Cour suprême de l’État a statué que la discrimination basée sur l’orientation sexuelle était incluse dans la notion de discrimination sexuelle. Une entreprise ne peut donc pas refuser de servir une personne sous prétexte qu’elle est gaie, ont tranché les juges.

Des défis

Les portraits de Martin Luther King, Angela Davis, Bayard Rustin et Malcolm X, figures emblématiques de la lutte pour les droits civiques aux États-Unis, trônent à l’entrée des locaux de LGBT Detroit. Dans une ville où plus de 75 % des habitants sont noirs, les questions d’équité qui animent l’organisme vont au-delà de la seule discrimination sexuelle.

Mais les défis pour convaincre les électeurs de voter ou de s’intéresser à des enjeux souvent éloignés de leur quotidien restent de taille pour une population marquée par les difficultés économiques et la violence. Le tiers des habitants de Detroit vivait dans la pauvreté en 2021, selon les données du dernier recensement.

Et c’était avant la dernière flambée des prix.

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Tashawna Gill, coordonnatrice à LGBT Detroit Mobilization

Les gens sont inquiets à propos du prix des loyers, de l’essence, ils demandent : “Est-ce que je vais même avoir les moyens d’aller voter ?”

Tashawna Gill, coordonnatrice à LGBT Detroit Mobilization

« Les gens sont tellement stressés à propos de l’argent, quelle importance a l’avortement pour eux ? Avec les gens plus nantis, la femme dans sa maison a peut-être plus de temps pour se concentrer sur l’avortement. En contraste avec la femme afro-américaine qui a cinq emplois, prend soin de sa famille, est inquiète pour son portefeuille et se demande comment elle pourra nourrir ses enfants », ajoute Mme Gill.

« Chaque élection porte sur l’économie », note le consultant politique Al Williams, qui a travaillé avec des candidats démocrates, notamment pour les sensibiliser aux préoccupations des Afro-Américains. Les enjeux chers à la communauté noire de Detroit, selon lui ? « La qualité de vie, l’économie, comment mettre plus d’argent dans les poches des gens, le travail, l’éducation, la paix », énumère l’homme derrière ses lunettes teintées.

« À Detroit, nous avons besoin que les gens sortent voter, mais ils font face à tellement de choses, précise Mme Gill. Comment peut-on leur demander de se concentrer sur nos droits qui nous sont enlevés et comment ça aura un impact dans l’avenir par rapport à ce qui a un impact sur eux maintenant ? C’est le défi auquel nous faisons face. »