L’ex-vice-président américain Mike Pence se décrit comme « un chrétien, un conservateur et un républicain, dans cet ordre ». Dans ses mémoires, parues en novembre, les convictions religieuses de l’ancien bras droit de Donald Trump apparaissent comme le fil conducteur de ses décisions. Et offrent un regard sur un courant au cœur des préoccupations pour l’avenir de la démocratie américaine : le nationalisme chrétien.

« Le nationalisme chrétien est une croyance que l’Amérique a été fondée en tant que nation chrétienne et qu’elle doit être défendue comme telle, explique Kristin Du Mez, professeure d’histoire à la Calvin University, au Michigan. Et ce à quoi cela ressemble peut prendre différentes formes. Pour beaucoup, c’est d’aligner nos lois sur les commandements bibliques et de privilégier la foi chrétienne dans le gouvernement et la société. »

Même si Mike Pence ne se décrit pas d’emblée comme un nationaliste chrétien, il ne fait aucun doute pour l’auteure de Jesus and John Wayne : How White Evangelicals Corrupted Faith and Fractured a Nation qu’il entre dans cette catégorie. « Je pense qu’il est un cas d’école d’une sorte de nationalisme chrétien traditionnel, très engagé dans sa foi, non seulement dans sa vie personnelle, mais aussi politique, estime Mme Du Mez. Et qui veut utiliser sa position de pouvoir pour rendre l’Amérique plus chrétienne et restaurer cette identité chrétienne. »

L’ancien vice-président n’a pas encore annoncé s’il comptait se lancer dans la course pour devenir le candidat du Parti républicain à l’élection présidentielle de 2024. La parution de ses mémoires, So Help Me God, confirme néanmoins que l’ancien gouverneur de l’Indiana n’a pas l’intention de disparaître de la sphère publique.

PHOTO JOHN MINCHILLO, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le 6 janvier 2021, parmi les partisans de Donald Trump qui avaient envahi le Capitole à Washington, certains arboraient des symboles chrétiens, signe de la place qu’occupe de plus en plus le mouvement nationaliste chrétien au sein de la démocratie américaine.

Le 6 janvier 2021, il s’était retrouvé au cœur de la grogne lorsque des partisans de Donald Trump – certains arborant des symboles chrétiens – avaient envahi le Capitole à Washington, réclamant notamment sa pendaison. S’il revient sur cet évènement dans ses mémoires, ce n’est pas tant pour dénoncer les fausses allégations de fraude massive que pour justifier ses actions décriées par la foule en colère ; il a certifié les résultats du vote parce qu’il voit la Constitution américaine comme un texte sacré qu’il avait fait le serment de protéger « avec l’aide de Dieu » – « so help Me God ».

Inquiétudes

En mettant de l’avant l’idée d’un peuple guidé par Dieu, le nationalisme chrétien inquiète les experts – tant la frange plus extrémiste que les modérés.

Bien que [Mike Pence] ne soit pas aussi extrémiste que ceux qui ont attaqué le Capitole, son adhésion à cette idée que le christianisme devrait être suprême et privilégié a créé un espace pour que cet extrémisme prenne racine.

Andrew L. Whitehead, professeur de sociologie à l’IUPUI, une université de l’Indiana

Il voit dans le mouvement une menace pour la démocratie. « Nous avons entendu et lu des gens qui embrassent le nationalisme chrétien dire que la démocratie n’est pas dans la Bible », dit le coauteur de Taking America Back for God : Christian Nationalism in the United States.

« Ils sont capables de prendre les parties de la Bible qui les aident, aux dépens de chrétiens d’expression différente ou d’Américains d’autres confessions ou sans religion. »

Poids politique

Près des deux tiers des Américains s’identifiaient en 2021 comme chrétiens, leur nombre étant en déclin depuis une décennie, alors que de plus en plus de personnes se disent sans affiliation religieuse, selon un sondage du Pew Research Center.

Ceux qui voient les États-Unis avant tout comme une nation chrétienne sont une minorité, mais ils continuent à avoir un poids important dans la politique américaine, malgré une séparation officielle entre l’Église et l’État.

Les Américains qui embrassent fortement le nationalisme chrétien représentent environ 15-16 % de la population et même si ça semble petit, en raison du processus des primaires aux États-Unis et parce que ces personnes sont plus actives politiquement, elles ont une importance.

Andrew L. Whitehead, professeur de sociologie à l’IUPUI, une université de l’Indiana

Ces Américains revendiquent haut et fort leur liberté de religion lorsque des droits contredisent leurs valeurs, comme le mariage entre personnes du même sexe ou l’avortement.

En décembre dernier, un ancien militant évangélique a témoigné devant le Congrès américain du lobbyisme effectué par les groupes religieux auprès de juges pour tenter de les influencer dans leurs décisions.

Cour suprême

« Il y a beaucoup d’inquiétudes au sujet des tribunaux fédéraux. Il y a une crainte que ces individus qui sont maintenant à la Cour suprême changent radicalement la façon dont nous comprenons la nation, et le premier exemple de cela serait la décision concernant l’avortement », note Eric McDaniel, professeur à l’University of Texas et coauteur de The Everyday Crusade : Christian Nationalism in American Politics.

PHOTO J. SCOTT APPLEWHITE, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Sur bon nombre d’enjeux de société aux États-Unis, les groupes nationalistes chrétiens revendiquent haut et fort leur liberté de religion, notamment dans les dossiers du mariage entre personnes de même sexe ou de l’avortement.

Les groupes nationalistes chrétiens sont « bien financés, bien organisés », précise-t-il, ajoutant qu’il ne faut pas mettre tous les militants religieux dans le même panier. Le nationalisme chrétien, généralement défini comme conservateur, blanc et traditionaliste, n’englobe pas tous les chrétiens s’impliquant en politique, certains défendant des valeurs plus libérales.

« Le Congrès aura un rôle à jouer pour contrecarrer le pouvoir des tribunaux s’il veut protéger certains droits, comme il l’a fait récemment pour cimenter le droit au mariage pour les personnes de même sexe », précise-t-il.