(Washington) De fortes inondations dans tout le Midwest américain ont rapproché de plus en plus les berges de la rivière Bad, dans le Wisconsin, de la canalisation 5 d’Enbridge, amplifiant des craintes déjà grandes que le pipeline souterrain puisse être déterré et se rompre en territoires autochtones, polluant un bassin versant vital pour la région.

Des documents judiciaires déposés lundi montrent que la rivière Bad est sortie de son lit à deux reprises le mois dernier, pendant neuf jours au total, emportant jusqu’à 2,5 mètres de berges à certains endroits tout près du pipeline souterrain.

La communauté autochtone chippewa du lac Supérieur à Bad River est devant les tribunaux depuis 2019 pour forcer le propriétaire du pipeline, la société albertaine Enbridge, à rediriger la canalisation 5 pour contourner son territoire.

À la fin de l’année dernière, un tribunal de district a rejeté les requêtes pour faire stopper immédiatement la circulation dans le pipeline. Le juge William Conley a par ailleurs ordonné aux deux parties de soumettre des plans d’urgence au cas où le risque de rupture deviendrait trop important.

Aucun de ces plans n’a été déclenché par les inondations de ce printemps, qui ont commencé le 11 avril, après un dégel soudain, et ont persisté pendant des jours, aggravées par de fortes pluies. Les eaux de crue se sont finalement retirées complètement le 23 avril, indique le rapport conjoint.

Mais l’organisme de droit environnemental « Earthjustice » estime que la canalisation d’Enbridge pourrait être « déterrée » dès la prochaine précipitation majeure.

« La canalisation 5 est conçue pour être souterraine et non dans les eaux tumultueuses d’une rivière en crue, où des collisions avec des arbres déracinés et d’autres débris pourraient facilement provoquer une fuite », a déclaré Timna Axel, porte-parole d’Earthjustice.

« La canalisation 5 pourrait facilement être exposée et se briser, à moins qu’Enbridge ne ferme le pipeline et ne vidange près d’un million de gallons [37 000 barils] de pétrole qui s’écoulent entre les vannes. »

Enbridge, de son côté, a indiqué dans un communiqué qu’elle « surveillait avec diligence » le pipeline, les conditions météorologiques et les niveaux d’eau 24 heures sur 24, et qu’en cas de besoin, elle était « préparée avec les plans, les procédures, le personnel d’intervention et l’équipement nécessaires ».

La canalisation 5 a fait l’objet de vérifications diligentes à plusieurs reprises et l’Agence américaine de sécurité des pipelines et des matières dangereuses « n’a soulevé aucun problème de sécurité à cet endroit », a ajouté Enbridge.

L’ampleur des dommages causés aux berges du « méandre », où la rivière et le pipeline sont les plus proches, ne sera pleinement confirmée que lorsque la communauté chippewa et Enbridge pourront se rendre sur place, dès que possible, ajoute l’entreprise canadienne.

Une instance de l’ONU réclame la fermeture

Les préoccupations environnementales entourant cette canalisation 5 sont depuis longtemps une priorité au Wisconsin, où le pipeline traverse directement la réserve chippewa de Bad River, plus de 500 kilomètres carrés de zones humides vierges, de ruisseaux et de nature sauvage.

Enbridge a déjà accepté de dérouter l’ouvrage, avec des plans depuis déjà plus de deux ans pour un contournement de 66 km.

En novembre dernier, le juge Conley a clairement indiqué qu’il n’avait aucun intérêt pour ordonner une « fermeture automatique et permanente » de la canalisation 5, citant des « conséquences économiques généralisées » et des « implications importantes en matière de politique publique et étrangère ».

Mais l’Instance permanente des Nations unies sur les questions autochtones, un organe consultatif de l’ONU, a précisément recommandé la semaine dernière l’arrêt permanent de cette canalisation, lors de la clôture de sa dernière session.

« L’Instance permanente demande au Canada de réexaminer son soutien à la canalisation 5 de l’oléoduc Enbridge, qui met en péril les Grands Lacs aux États-Unis », a déclaré l’agence onusienne. « Le pipeline représente une menace réelle et crédible pour les droits de pêche protégés par traité des peuples autochtones aux États-Unis et au Canada. »

La canalisation 5 fait aussi l’objet d’un litige au Michigan voisin, où l’État demande aux tribunaux la fermeture définitive du pipeline, par crainte d’une catastrophe écologique dans le détroit de Mackinac, la zone écologiquement délicate où l’ouvrage passe sous les Grands Lacs.

Les groupes d’affaires et les chambres de commerce des deux côtés de la frontière, les gouvernements provinciaux et Ottawa se sont tous ralliés à Enbridge dans ses efforts pour présenter la survie de la canalisation 5 comme une question essentielle à la sécurité énergétique du continent.

Les partisans ont fait valoir dans des dossiers judiciaires ainsi que dans des forums publics que la canalisation 5 constituait une source d’énergie vitale pour plusieurs États du Midwest, mais aussi un lien essentiel pour les raffineries canadiennes qui alimentent certains des aéroports les plus achalandés du Canada.