(New York) Au lendemain de la décision de la Cour suprême des États-Unis annulant l’arrêt Roe c. Wade, certains commentateurs et stratèges politiques doutaient que la question de l’avortement trouve encore un écho cinq mois plus tard, à l’occasion des élections de mi-mandat. « C’est l’économie, stupide ! », répétaient-ils en reprenant un vieux slogan qui semblait approprié en cette époque d’inflation élevée.

On connaît la suite. Dans plusieurs États et circonscriptions clés, le droit des femmes d’interrompre leur grossesse a pesé sur les choix des électrices en particulier et contribué à la victoire de nombreux candidats démocrates qui auraient probablement perdu en d’autres circonstances.

Mais l’effet Dobbs c. Jackson Women’s Health Organization se fera-t-il encore sentir à l’occasion de l’élection présidentielle de 2024 ?

En marge du premier anniversaire de l’arrêt qui a mis fin à la protection du droit constitutionnel à l’avortement, Mary Ziegler n’entretient aucun doute à ce sujet.

« La question de l’avortement sera probablement tout aussi importante, voire plus importante, qu’auparavant », dit cette professeure de droit à l’Université de Californie à Davis et historienne du débat sur l’avortement aux États-Unis.

« Une partie de ce que nous voyons est une réponse à ce que les militants conservateurs font, à ce que les législatures républicaines des États font. C’est ce qui a permis à la question de rester d’actualité. Cela signifie également que la question de l’avortement est très instable. Dans de nombreux États, les lois sont contestées. Et nous voyons des efforts, avec quelques chances de succès à mon avis, visant à utiliser les tribunaux fédéraux afin de créer une interdiction nationale. C’est donc tout cela qui fait que la question reste d’actualité. »

Républicains divisés

À l’amorce de la campagne présidentielle de 2024, les candidats des deux partis affrontent cette réalité de façon diamétralement opposée. Les démocrates, qui ont longtemps marché sur des œufs en parlant d’avortement, ont déjà signalé leur intention de poursuivre leur stratégie de 2022. À savoir : exploiter à fond les positions de leurs rivaux sur cette question sensible pour dénoncer leur radicalisme.

« Ces soi-disant dirigeants extrémistes osent nous dire ce qui est dans notre intérêt », a déclaré Kamala Harris lors d’un discours prononcé sur le campus de l’Université Howard, son alma mater, le jour même où Joe Biden lançait sa campagne présidentielle. « Eh bien, je le dis, je fais confiance aux femmes d’Amérique. Je fais confiance au peuple américain. »

Les républicains, en revanche, ne savent plus sur quel pied danser, eux qui ont souscrit sans faillir pendant des décennies au rêve de la droite religieuse d’invalider l’arrêt Roe c. Wade. Depuis la réalisation de ce rêve, et les résultats décevants des élections de mi-mandat de 2022, ils ne parlent plus d’une seule voix.

Ainsi, Donald Trump et d’autres candidats républicains à la présidence ont choqué l’un des groupes les plus importants du mouvement anti-avortement en affirmant que l’avortement est une question qu’il vaut mieux laisser aux États.

Ce groupe, appelé Susan B. Anthony Pro-Life America, exige de tous les aspirants républicains à la Maison-Blanche qu’ils appuient le projet d’interdire l’avortement après 15 semaines à l’échelle nationale. Les États ayant des lois plus restrictives en matière d’avortement ne seraient évidemment pas concernés par cette interdiction.

« Le mouvement pro-vie poursuivra ses efforts pour sauver d’autres vies aux États-Unis et réclamer une protection gestationnelle fédérale afin que la Californie, l’Illinois, l’État de New York et d’autres ne puissent pas poursuivre leurs politiques extrêmes d’avortement sur demande, à l’image de ce qui se passe en Corée du Nord et en Chine », a déclaré Marjorie Dannenfelser, présidente de la SBA Pro-Life, dans un communiqué récent.

L’évolution de l’opinion publique peut expliquer l’hésitation ou le refus de certains candidats du Grand Old Party à appuyer la position du groupe de Marjorie Dannenfelser.

Selon un récent sondage du Pew Research Center, la proportion des personnes qui pensent qu’il devrait être plus facile d’avorter est passée de 31 % en 2019 à 43 % dans les régions où l’avortement a été interdit à la suite de l’abrogation de l’arrêt Roe c. Wade. Une hausse similaire a été observée dans les États où l’avortement a été restreint ou ceux où la loi est contestée devant les tribunaux.

Retombées

Ces données expliquent aussi sans doute pourquoi le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, passe souvent sous silence une des lois les plus importantes qu’il a promulguées, celle qui interdit désormais l’avortement dans son État après six semaines. Cette mesure est peut-être populaire chez les militants les plus conservateurs du Parti républicain, mais elle est susceptible de lui nuire au sein de l’ensemble de l’électorat s’il remporte l’investiture du GOP pour l’élection présidentielle de 2024.

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Le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, lors d’une conférence réunissant des conservateurs évangéliques à Washington vendredi

« DeSantis représente une opinion extrême, même au sein du Parti républicain qui, à mon avis, est devenu assez extrême. Il est très à droite », commente Jessica Watters, professeure de droit de la reproduction à l’American University.

Comme d’autres spécialistes qui suivent le débat autour de l’avortement aux États-Unis, Jessica Watters s’attendait à l’annulation éventuelle de l’arrêt Roe c. Wade et aux retombées de cette décision partout aux États-Unis.

« Une grande partie de ce que nous voyons est horrifiante et dévastatrice, mais pas surprenante, dit-elle. D’un autre côté, nous voyons les États et les citoyens se mobiliser comme ils ne l’avaient jamais fait auparavant. Je dirais que j’ai été surprise par les résultats de plusieurs référendums [sur l’avortement] l’automne dernier. Je ne m’attendais pas à ce que tous ces référendums se soldent en faveur des pro-choix, même dans les États plus conservateurs. »

Reste à voir s’il en sera de même en 2024.