(New York) « Il n’a presque pas changé ! », s’exclame la Mexicaine Irene Galicia en serrant dans ses bras à New York son fils Gabriel Hernandez qu’elle n’avait pas vu depuis près de trois décennies.

Arrivée par avion le week-end dernier dans la mégapole américaine, pour la première fois de sa vie, cette femme frêle de 80 ans pensait pourtant « ne pas reconnaître » son garçon d’aujourd’hui 44 ans qui a émigré illégalement du Mexique aux États-Unis il y a plus d’un quart de siècle.

En embrassant l’homme qui était parti adolescent, cette mère octogénaire se déclare devant l’AFP « heureuse » d’avoir revu son fils « avant de mourir ».  

Irene Galicia et son mari Esteban Hernandez, 74 ans, font partie de la trentaine de familles mexicaines qui se sont retrouvées à New York dimanche dernier.

Ces voyages de regroupement familial de quelques semaines seulement - avec la bénédiction des autorités consulaires américaines -sont organisés régulièrement par plusieurs associations humanitaires new-yorkaises, dont le « Club Migrante Chinelos de Morelos en Nueva York ».

Des parents âgés, qui n’ont pas vu leur progéniture depuis 20, 25, parfois 30 ans, peuvent entrer aux États-Unis avec un visa provisoire afin de revoir leurs enfants immigrés devenus adultes et restés sans titre de séjour américain, comme des millions de clandestins.  

Larmes et rires

Lors de ces retrouvailles chargées en émotions - larmes, rires et étreintes - dans un foyer de l’immense arrondissement multiculturel du Queens, Gabriel Hernandez se dit « comblé ».

D’autant que durant la terrible pandémie de COVID-19 en 2020 et 2021 en Amérique du Nord, ce père de famille redoutait de plus jamais revoir ses vieux parents qui étaient tombés malades.

Ce dimanche est une « victoire » après des jours d’« anxiété » qui l’ont empêché de « manger et de dormir », confie-t-il à l’AFP.

Tout sourire, Gabriel Hernandez, sa femme et deux de leurs quatre enfants - dont l’un est soldat de la marine américaine - ont pu étreindre Irene Galicia et Esteban Hernandez venus de Tetelcingo, dans l’État mexicain de Morelos, à 100 km de Mexico.

« Il s’est marié, est parti et on ne l’a pas revu depuis », souffle le père « heureux » de revoir son fils. Après plus de 25 ans d’attente.  

37 millions de Mexicains aux États-Unis

Selon des données de l’Institut national de statistiques du Mexique (Inegi), il y a dans ce pays quelque 4,6 millions de foyers qui reçoivent 380 dollars américains en moyenne chaque mois de leurs proches travaillant chez leur grand voisin du nord.

L’an passé, la diaspora mexicaine aux États-Unis - 37,2 millions de personnes, dont plus de 11 millions d’immigrés, la moitié étant sans papiers - a envoyé au Mexique un record de 58 milliards de dollars, soit une hausse de 13 % par rapport à 2021, selon la banque centrale mexicaine.  

Et au premier trimestre de cette année, les transferts d’argent ont augmenté de 11 % sur un an.

Comme d’autres nationalités, les Mexicains clandestins aux États-Unis y travaillent, paient leurs impôts et sont parfois propriétaires de leur logement : la moitié d’entre eux étant installés dans ce pays depuis plus de 17 ans, souligne auprès de l’AFP Claudia Masferrer, professeure au Colegio de México (Colmex).

Mais faute de papiers, ils ne peuvent retourner, même brièvement, dans leur pays d’origine par crainte de ne pouvoir ensuite revenir aux États-Unis.

Cette démographe assure que des parents comme ceux de Gabriel Hernandez retrouvent leurs enfants aux États-Unis pour des « raisons humanitaires après tant d’années de séparation, mais qu’ils retourneront ensuite au Mexique ».

Voir grandir ses enfants

C’est même un « engagement » auprès des autorités américaines que ces personnes âgées retournent dans leur pays au bout de quelques semaines, confirme Aurora Morales, coordinatrice du « Club Migrante Chinelos de Morelos en Nueva York » qui assure avoir réuni 5000 familles depuis 2017.

À l’image de Demetria Garcia Solano, 64 ans, elle aussi arrivée dimanche à New York, après cinq refus de visa, et qui a enfin pu revoir, ou connaître, tous les membres de sa grande famille vivant aux États-Unis : six de ses sept enfants, cinq petits-enfants, sa mère et cinq frères et sœurs.  

« J’aurais aimé venir (avant), j’aurais vu grandir mes enfants » qui ont quitté le Mexique à l’adolescence, confie-t-elle à l’AFP.  

« Ça fait très mal », lâche-t-elle les larmes aux yeux.