(New York) Un jeune couple ne portant que des sous-vêtements s’émoustille dans un lit lorsque la femme, entre deux baisers, demande à l’homme s’il a un condom. L’homme répond par l’affirmative et tend un bras pour ouvrir le tiroir d’une table de chevet. Mais, assis dans la chambre à coucher, un homme à la cravate rouge le devance et s’empare du condom qui s’y trouve.

« Désolé, vous ne pouvez pas l’utiliser », dit-il d’une voix doucereuse.

« De quoi parlez-vous ? Qui êtes-vous ? », demande la jeune femme, une pointe de colère dans la voix, en ramenant le drap sur son corps à demi nu.

« Je suis votre représentant républicain, répond l’homme à la tête blanche. Maintenant que nous sommes aux commandes, nous interdisons la contraception. »

Tiré d’une pub virale, ce scénario concerne un référendum qui sera tenu mardi dans l’Ohio. À entendre ses instigateurs, ce scrutin porte sur le sujet le moins sexy qui soit, à savoir la façon de modifier la Constitution de cet État du Midwest, longtemps considéré comme le baromètre électoral des États-Unis.

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Évidemment, les concepteurs de la pub la plus osée de l’histoire de la politique américaine n’en croient pas un mot. Et ils ne sont pas les seuls.

« Il s’agit uniquement d’avortement, dit Susan Burgess, politologue à l’Université de l’Ohio. Il ne fait aucun doute qu’il s’agit de l’avortement. »

Mais pas seulement, croit David Niven, politologue à l’Université de Cincinnati.

Des législateurs de l’État ont ouvertement déclaré qu’ils envisageraient une interdiction de la contraception comme prochaine étape. Même si la pub semble exagérée, elle reflète la réalité.

David Niven, politologue à l’Université de Cincinnati

Financée par un groupe progressiste, l’annonce exhorte les électeurs de l’Ohio à voter « non » à une proposition soumise par les parlementaires républicains de l’État. La proposition vise notamment à requérir l’appui de 60 % des électeurs pour toute modification à la Constitution du Buckeye State issue d’un référendum d’initiative populaire.

Pour le moment, l’appui de 50 % des électeurs plus un suffit.

Une manœuvre décriée

Les républicains ont officiellement invoqué des motifs de gouvernance pour justifier leur proposition. Mais les pages éditoriales de tous les journaux de l’État, toutes tendances confondues, ont dénoncé leur démarche, n’y voyant qu’une manœuvre transparente pour nuire aux partisans du droit à l’avortement.

Car – et c’est la clé de l’affaire – les groupes pro-choix de l’Ohio ont amassé un nombre suffisant de signatures pour assurer la tenue en novembre prochain d’un référendum proposant de modifier la Constitution de l’État afin de garantir le droit à l’avortement jusqu’à la viabilité du fœtus.

Selon un sondage récent, une telle proposition jouit de l’appui de 58 % des électeurs de l’Ohio. Les parlementaires républicains de l’État sont donc accusés de vouloir contrer un tel résultat en tentant de faire passer à 60 % l’appui nécessaire à toute modification de la Constitution.

Comme l’indiquent les critiques unanimes des journaux de l’Ohio, la manœuvre n’est pas seulement contestée par les démocrates ou les pro-choix en matière d’avortement.

Cela fait partie de la culture américaine : nous avons tendance à ne pas être ouverts au changement de règles en cours de route. C’est une caractéristique qui s’applique à l’ensemble du monde politique.

Susan Burgess, politologue à l’Université de l’Ohio

La décision des républicains de tenir un scrutin au début du mois d’août est également critiquée. Elle est perçue comme une façon de s’assurer que le scrutin ne mobilisera que les électeurs les plus engagés sur le plan politique, soit les chrétiens évangéliques.

Mais l’Ohio pourrait revivre mardi l’expérience du Kansas, État conservateur où un référendum sur l’avortement tenu en août 2022 a procuré une victoire aussi inattendue que retentissante aux pro-choix.

« Le taux de participation sera étonnamment élevé, car on s’attendait à ce qu’il soit très bas, dit David Niven, de l’Université de Cincinnati. D’après le vote par anticipation, nous constatons beaucoup d’enthousiasme dans les bastions démocrates. »

Feu État baromètre

Pour le moment, l’avortement est légal dans l’Ohio jusqu’à la 22e semaine de grossesse. Le gouverneur républicain de l’État a promulgué une loi interdisant les interruptions de grossesse après la sixième semaine, mais cette mesure a été bloquée par un juge pendant sa contestation devant les tribunaux.

Le référendum de novembre vise à modifier la Constitution de l’Ohio afin de garantir le droit « de prendre et d’appliquer ses propres décisions en matière de droits reproductifs », y compris les décisions relatives à l’avortement et à la contraception. Le texte soumis dans le cadre du référendum autorise l’État à restreindre l’avortement après la viabilité du fœtus.

Comme l’indique le sondage cité précédemment, il n’est pas assuré qu’une telle proposition obtiendra l’appui de 60 % des électeurs. Mais la question ne se posera peut-être pas en novembre. Car, selon un autre sondage récent, 57 % des électeurs de l’Ohio rejettent l’idée de changer les règles leur permettant de modifier la Constitution de leur État, règles en vigueur depuis 111 ans.

Conclusion : l’Ohio n’est plus vraiment un État baromètre aux États-Unis, ayant refusé de suivre le vote populaire lors des deux dernières élections présidentielles. Mais, dans la foulée d’autres États conservateurs tels que le Kansas, le Kentucky et le Montana, le Buckeye State pourrait refuser de suivre ses élus républicains en matière d’avortement.

« Ce serait vraiment quelque chose si cela se produisait aussi dans l’Ohio, dit Susan Burgess, de l’Université de l’Ohio. Après tout, lors des dernières élections, cet État a été extraordinairement rouge. C’est donc une affaire qui pourrait avoir des ramifications sur l’élection présidentielle de 2024, quel que soit le résultat. »

Pour les mordus de politique, il n’y a rien de plus sexy.