Contre toute attente, le Congrès américain est parvenu samedi à un accord de dernière minute sur le financement de l’administration fédérale, évitant la fermeture des services gouvernementaux. Résumé d’une crise évitée de justesse… pour l’instant.

Qu’est-ce qui se passe au Congrès américain ?

Chaque année, c’est le même bras de fer. Élus démocrates et républicains doivent s’entendre sur le budget annuel du gouvernement avant le début de la nouvelle année budgétaire.

Or, le Congrès américain n’était pas encore parvenu à un accord samedi soir, quelques heures seulement avant la date butoir. L’impasse semblait telle que les employés fédéraux avaient été avertis de se préparer à une éventuelle fermeture du gouvernement.

Puis, contre toute attente, un compromis a été trouvé. À la dernière minute, le Sénat a adopté une mesure permettant de maintenir le financement du gouvernement pendant 45 jours, emboîtant le pas à la Chambre des représentants.

La résolution prévoit notamment des fonds de secours en cas de catastrophe, mais aucune aide à l’Ukraine, qui constituait pourtant une priorité de la Maison-Blanche.

Dans un communiqué suivant le vote, le président des États-Unis, Joe Biden, a salué l’accord, dénonçant les « républicains extrémistes de la Chambre des représentants » qui « exigeaient des coupes budgétaires drastiques ».

« Nous ne pouvons en aucun cas permettre que le soutien américain à l’Ukraine soit interrompu », a-t-il déclaré.

Donc la crise a été évitée ?

Pour le moment, oui. Mais il ne s’agit que d’un sursis. À compter de ce dimanche, les élus disposent de six semaines pour s’entendre sur un nouveau plan. « On va se relancer dans un cycle de négociations », note Amélie Escobar, membre associée de l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand.

En l’absence d’un accord, des millions de fonctionnaires et de militaires se retrouveraient privés de salaire. Du jour au lendemain, les agences fédérales devraient cesser tout travail non essentiel. Le trafic aérien serait perturbé, les parcs nationaux fermeraient leurs portes aux visiteurs, le financement de programmes sociaux serait suspendu, sans compter l’impact sur les marchés financiers.

D’après Goldman Sachs, la fermeture des services gouvernementaux réduirait la croissance économique du pays de 0,2 % chaque semaine qu’elle durerait.

Par comparaison, la plus longue période de paralysie budgétaire aux États-Unis avait duré 35 jours sous la présidence de Donald Trump. Selon certaines estimations, l’impasse a coûté plus de 5 milliards au gouvernement.

Quels seront les principaux points de litige au cours des prochaines semaines ?

L’aide militaire et humanitaire à l’Ukraine sera au cœur des négociations. Les démocrates en ont fait l’une de leurs priorités, réclamant initialement 24 milliards de dollars d’aide pour Kyiv. Or, de plus en plus d’élus républicains s’y opposent.

« Quand le conflit a commencé, c’était une quasi-unanimité dans les deux chambres, mais plus le temps passe, plus le soutien à l’aide militaire s’étiole du côté républicain », observe Rafaël Jacob, chercheur de la Chaire Raoul-Dandurand.

Il faudra tout de même s’attendre à ce que les démocrates se battent dans les prochaines semaines pour maintenir l’aide financière à l’Ukraine. « Il y a des engagements qui ont été pris. En même temps, probablement qu’ils devront faire des concessions sur le montant qu’ils souhaitaient donner », remarque à son tour Amélie Escobar.

L’entente adoptée pourrait-elle coûter à Kevin McCarthy son poste du président de la Chambre des représentants ?

C’est du moins ce que croient certains élus d’extrême droite, qui lui reprochent d’avoir négocié avec les démocrates. Si on s’attend à ce qu’ils déposent une motion pour tenter de destituer M. McCarthy, il n’est pas certain qu’ils obtiendront les appuis nécessaires pour forcer le président de la Chambre à quitter son fauteuil sans le soutien des démocrates.

PHOTO HAIYUN JIANG, THE NEW YORK TIMES

Le président de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy

« Les démocrates auront un choix à faire, soit le déloger et potentiellement se retrouver avec quelqu’un qui soit moins enclin à travailler avec eux, ou alors le soutenir sachant qu’il a quand même lancé une enquête en destitution contre Joe Biden », note Mme Escobar.

Avant le vote, le président de la Chambre s’était défendu en disant qu’il se comportait « en adulte ». « Nous allons faire notre boulot. Nous ne fermerons pas le gouvernement », avait-il déclaré.

Cela aura-t-il un impact sur l’élection présidentielle de 2024 ?

Ce serait surprenant, croit Rafaël Jacob. « C’est tellement structurel comme dysfonctionnement que ce n’est pas attribuable à un président ou un parti », explique-t-il. Depuis le début du XXIsiècle, le Congrès américain peine à adopter des budgets annuels, se résolvant à des mesures temporaires de quelques mois, voire quelques semaines.

« On a eu des présidents démocrates et républicains, des congrès contrôlés par des républicains et des démocrates. Année après année, c’est toujours la même dynamique. Je pense que la problématique est beaucoup plus fondamentale que ça », conclut-il.