(New York) Il se dit et s’écrit des choses étonnantes, voire inédites chez les démocrates en matière d’immigration, ces jours-ci.

Le 1er octobre dernier, la gouverneure de l’État de New York, Kathy Hochul, a affirmé que la frontière entre les États-Unis et le Mexique était « trop ouverte ». « Il est dans notre ADN d’accueillir les immigrants. Mais il doit y avoir des limites », a-t-elle dit lors d’une entrevue télévisée.

Le lendemain, son homologue de l’Illinois, J.B. Pritzker, a dénoncé « le manque d’intervention et de coordination du gouvernement fédéral à la frontière ». Dans une lettre adressée à Joe Biden, il a précisé que cette lacune « a créé une situation intenable » dans son État.

Deux jours plus tard, le président de la Chambre des représentants du Massachusetts, Ron Mariano, a exprimé sa propre frustration face à l’occupant de la Maison-Blanche et sa gestion des migrants, dont plus de 260 000 ont franchi irrégulièrement la frontière sud en septembre, un record. « Le gars se présente à l’élection présidentielle. Il ferait mieux de commencer à y prêter attention », a-t-il lâché devant les journalistes.

Mais la déclaration la plus surprenante est venue de Joe Biden lui-même. Jeudi dernier, il a confirmé l’extension sur 32 km du mur séparant les États-Unis du Mexique dans une région frontalière du Texas qui connaît une recrudescence d’entrées irrégulières. Il rompait ainsi une de ses promesses électorales les plus mémorables : « Il n’y aura pas un pied de mur de plus construit sous mon administration », avait-il dit en août 2020, réitérant son intention de tourner le dos au plus grand symbole de la politique de Donald Trump en matière d’immigration.

Le président démocrate a juré qu’il n’y pouvait rien, que la loi l’obligeait à utiliser les fonds engagés par son prédécesseur pour la construction de son mur. Et il a répondu « non » au journaliste qui lui demandait s’il croyait que ce bout de mur pouvait être efficace.

Voix discordantes

Son secrétaire à la Sécurité intérieure a cependant semblé le contredire sur ce point précis. « Il existe actuellement un besoin aigu et immédiat de construire des barrières physiques et des routes à proximité de la frontière des États-Unis afin d’empêcher les entrées irrégulières sur le territoire américain dans les zones concernées par le projet », a déclaré Alejandro Mayorkas dans un avis officiel. Il a par la suite déclaré que des extraits de l’avis avaient été cités « hors contexte ».

PHOTO LEONARDO MUNOZ, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

La représentante démocrate de New York, Alexandria Ocasio-Cortez, en septembre dernier

La représentante démocrate de New York Alexandria Ocasio-Cortez a nié de son côté que le président était tenu de poursuivre la construction d’un mur qui l’oblige à suspendre l’application de plusieurs lois environnementales. « Le président doit assumer la responsabilité de cette décision et faire marche arrière », a-t-elle écrit sur X.

N’en déplaise à AOC, cette extension du mur à la frontière sud semble symboliser l’évolution du débat sur l’immigration irrégulière au sein du Parti démocrate.

Débat qui a pris une tournure inattendue après que le gouverneur républicain Greg Abbott a commencé à envoyer dans les villes « sanctuaires » du Nord et de l’Ouest des autobus remplis de migrants.

Quatorze mois plus tard, les démocrates ne se contentent plus de blâmer ce gouverneur. Ils reprochent aussi à l’administration Biden son inaction ou son inefficacité face à la crise des migrants et remettent en cause sa gestion de la frontière sud, un sujet qui a longtemps été l’apanage des républicains.

Et aucun élu démocrate n’aura été plus critique à l’égard du président que le maire de New York, où plus de 120 000 migrants sont arrivés depuis le mois d’août 2022.

PHOTO LUISA GONZALEZ, REUTERS

Le maire de New York, Eric Adams, dimanche

Je pense que le président a fait du bon travail, nous avons été côte à côte sur la criminalité, nous avons été côte à côte sur les questions environnementales, mais sur cette question, je pense que la Maison-Blanche a tort.

Eric Adams, maire de New York

Le maire de New York ne réclame pas seulement plus d’argent de Washington pour l’aider à gérer une crise dont il craint qu’elle ne « détruise » sa ville. Il réclame également un renforcement de la frontière.

Son homologue de Chicago, Brandon Johnson, tient un discours semblable. « Permettez-moi de le dire clairement : la ville de Chicago ne peut pas continuer à accueillir de nouveaux arrivants en toute sécurité et avec compétence sans un soutien important et des changements dans la politique d’immigration », a déclaré le nouveau maire de la troisième ville américaine, le 30 août dernier.

Expulsions

Après avoir donné le feu vert à l’extension du mur à la frontière sud, Joe Biden a annoncé un autre changement important à sa politique d’immigration, la semaine dernière : désormais, les migrants du Venezuela entrés irrégulièrement aux États-Unis seront expulsés illico. Auparavant, l’administration démocrate affirmait être obligée de les accueillir en raison de l’absence de relations diplomatiques avec Caracas. Environ 50 000 migrants vénézuéliens ont été interceptés à la frontière sud au cours du mois de septembre seulement, un autre record.

Les critiques des élus démocrates de New York et d’ailleurs ont sans doute contribué à ce changement, qui suit l’adoption en mai dernier de mesures dont l’efficacité est aujourd’hui remise en question. Mais les sondages y sont aussi pour quelque chose ; ils reflètent la profonde insatisfaction des électeurs concernant la façon dont Joe Biden gère ce dossier complexe.

Quant aux républicains du Congrès, ils pourraient aider le président démocrate en acceptant de lui fournir l’enveloppe de 4 milliards de dollars qu’il réclame pour renforcer la frontière sud. Mais ils préfèrent l’accuser d’hypocrisie, refusant de croire à ses explications sur les raisons qui le mèneront à ajouter au mur à la frontière sud.

Un mur qui sera bientôt aussi un peu le sien, qu’il l’admette ou non.