Un suspect évaporé dans la nature, qui se déplace sans laisser de traces et avec lequel il est impossible d’entrer en contact ? « Là, on a affaire au pire des cas », évalue Alain Croteau, ancien policier de la Sûreté du Québec et spécialiste de ce type de recherche auquel sont confrontées en ce moment les autorités du Maine.

« Et pour rajouter du glaçage, on a affaire à quelqu’un de dangereux, ajoute-t-il. En général, dans ce genre de recherche, quand on parle d’un suspect en fuite, on parle de quelqu’un qui est prêt à tout pour ne pas se faire prendre, de quelqu’un qui est possiblement armé, et possiblement prêt à agir contre ceux qui le cherchent. »

Près de deux jours après la tuerie du 25 octobre à Lewiston, les policiers américains cherchent toujours à repérer le tireur. Un mandat d’arrestation a été lancé à l’endroit de Robert Card, 40 ans, instructeur de maniement des armes à feu et réserviste de l’armée. L’homme est considéré comme armé et dangereux, a indiqué la police.

Le suspect a laissé peu d’indices jusqu’ici pour permettre aux policiers de le retrouver. Ceux-ci ont récupéré un téléphone cellulaire lui appartenant, une note écrite de sa part, ainsi que son véhicule abandonné près de la rivière Androscoggin, à Lisbon, au sud-est de Lewiston.

Ouvrir l’œil

Dans les circonstances, quelle stratégie doivent employer les policiers pour retrouver un suspect qui peut se cacher n’importe où, notamment dans la forêt environnante ? Robert Card a acquis durant son entraînement militaire des notions d’orientation « qui ont fait de lui quelqu’un d’extrêmement à l’aise en forêt », a décrit un de ses anciens compagnons d’armes, Clifford Steeves, au réseau CNN.

« On doit compter sur le fait que, après un certain temps, les gens ont besoin d’eau et de nourriture pour survivre », dit Alain Croteau. Dans un secteur forestier et peu peuplé, les commerces, les restaurants, les maisons et les chalets deviennent des destinations convoitées. « Le grand défi, c’est la présence de chalets. Un chalet non occupé pourrait contenir de la nourriture et offrir un refuge, dit Alain Croteau. Généralement, les policiers vont visiter ces chalets et y laissent une trace, un repère, une façon de savoir s’il y a eu une visite entre deux passages. »

PHOTO KEVIN LAMARQUE, REUTERS

Des policiers fouillent une ferme, à Lisbon, au sud de Lewiston

François Riffou, colonel à la retraite du Royal 22Régiment qui a fait la guerre en Afghanistan, souligne que les policiers doivent mener leurs recherches en sachant qu’ils avancent possiblement vers une confrontation armée. En termes militaires, ils « avancent au contact ».

Ce n’est pas comme un ratissage pour retrouver un avion écrasé. Il y a toutes sortes de considérations de sécurité.

François Riffou, colonel à la retraite du Royal 22Régiment

« Quand vous lancez plein de gens dans les bois comme ça, si ça tire, ils ne doivent pas se tirer les uns sur les autres. Il faut un contrôle très étroit pour s’assurer qu’on s’en va tous dans la même direction. Si ça tire, il faut respecter certains angles », explique-il.

Les policiers du Maine disent avoir reçu quelque 530 informations qu’ils doivent vérifier pour tenter de repérer le suspect. En analysant la carte du terrain, il est possible d’identifier des positions où il serait logique de retrouver le fugitif, afin d’y concentrer les recherches, explique M. Riffou, qui siège aujourd’hui au conseil d’administration des Commissionnaires, une agence de sécurité à but non lucratif qui offre des emplois aux vétérans canadiens.

Sur terre et par les airs

Pierre St-Cyr, ancien pilote d’hélicoptère dans l’Aviation royale canadienne qui a pris sa retraite avec le rang de colonel, souligne pour sa part que les recherches aériennes peuvent aussi s’avérer un atout déterminant dans ce genre de recherches, surtout la nuit : des hélicoptères munis de détecteurs infrarouges peuvent repérer les sources de chaleur dans les bois, alors que les lunettes de vision nocturne des pilotes les aident à localiser la moindre source de lumière.

PHOTO SHANNON STAPLETON, REUTERS

Des policiers lors d’une opération de recherche à Monmouth, au nord de Lewiston

« Si l’individu allume ne serait-ce qu’une cigarette au sol, ça devient aussi évident qu’une lampe de poche allumée au fond d’une cave, grâce à la vision nocturne », explique celui qui est aujourd’hui président du conseil d’administration des Commissionnaires du Québec.

Un vol de nuit permet aussi d’éviter que le suspect armé tire des coups de feu en direction de l’hélicoptère, ce qui représenterait un réel danger d’écrasement.

De nuit, les lumières de l’appareil sont éteintes, l’individu l’entend, mais il ne le voit pas. L’hélicoptère est protégé par son invisibilité.

Pierre St-Cyr, ancien pilote d’hélicoptère dans l’Aviation royale canadienne

Selon l’ancien policier Alain Croteau, les experts évaluent que la vitesse de déplacement moyenne d’un adulte à pied, en forêt, est de 4 km/h en suivant un sentier. Si l’adulte se déplace hors sentier, sa vitesse de déplacement est réduite à environ 1,6 km/h.

Est-il possible que le suspect échappe à jamais à la traque policière ? « Ça se peut qu’on ne le retrouve pas dans les prochaines heures, ou dans les prochains jours », dit Alain Croteau. « Mais qu’on ne le retrouve jamais, je serais très surpris. Si le suspect met fin à ses jours dans un endroit isolé, ça peut prendre plusieurs années avant qu’un individu le retrouve par hasard. Mais s’il reste en vie, à un moment donné, il faudra qu’il ressorte. »