(Washington) Dans quelles conditions un responsable public peut-il bloquer des citoyens sur ses réseaux sociaux personnels, au risque de les priver d’informations d’intérêt général ? La Cour suprême américaine a retourné mardi la question dans tous les sens.

Ces débats font écho à ceux provoqués sous la présidence de Donald Trump par le blocage de ses critiques sur son compte Twitter. Malgré plusieurs décisions de justice à son encontre, les procédures s’étaient éteintes avec son départ de la Maison-Blanche en 2021.

Mais la question de fond se pose de nouveau pour des responsables bien plus obscurs.

En l’espèce, les neuf juges de la Cour suprême se sont penchés successivement sur le cas de deux membres d’une autorité scolaire locale de Californie (ouest) qui avaient bloqué de leur compte un couple de parents d’élèves et sur celui d’un responsable municipal du Michigan (nord) qui avait fait de même pour un de ses administrés.

« La difficulté de ces affaires, c’est qu’il y a des enjeux liés au Premier amendement de part et d’autre », a résumé la juge Elena Kagan, en référence à l’amendement de la Constitution garantissant la liberté d’expression.

« Le Premier amendement protège l’expression privée des fonctionnaires, mais aussi l’accès des citoyens à des éléments importants de leur gouvernement », a-t-elle souligné.

« Les 21 millions de fonctionnaires de ce pays doivent avoir le droit de parler publiquement de leur métier sur leurs réseaux sociaux personnels tout comme leurs homologues du secteur privé », a plaidé l’avocate du responsable de la municipalité de Port Huron, dans le Michigan, Victoria Ferres.

« Instrument de gouvernance »

Pour le représentant des membres de l’autorité scolaire en Californie, Hashim Mooppan, « le seul critère praticable » pour déterminer ce qui relève de la sphère privée de la sphère publique est de « se demander s’ils ont rempli les devoirs ou exercé les pouvoirs de leur fonction ».

À cette fin, il faut « établir s’ils utilisent des ressources gouvernementales, si le gouvernement peut contrôler leurs actions, ou s’ils font quelque chose que seul le gouvernement peut faire. Rien de tel n’existe dans ce cas », a ajouté M. Mooppan.

Mais la juge Kagan a objecté que ce raisonnement pourrait permettre de conclure que « le compte Twitter du président Trump était aussi personnel ».

Or, ce compte, sur lequel il annonçait régulièrement des décisions politiques, constituait « une partie importante de la manière dont il exerçait son autorité. En interdire l’accès à un citoyen serait lui interdire l’accès à une partie du fonctionnement du gouvernement », a-t-elle estimé.

L’avocate des parents d’élèves, Pamela Karlan, a insisté sur l’apparence officielle et la prédominance de messages liés à l’autorité scolaire sur les pages dont ils ont été bloqués, amenant la juridiction inférieure à les considérer comme « un instrument de gouvernance ».

Une membre de cette autorité y commence systématiquement ses phrases par « “nous” et non pas “je” », a-t-elle relevé, citant l’écrivain Mark Twain pour qui « les seules personnes qui devraient utiliser le “nous” de majesté sont les membres de la royauté et les porteuses de ténia ».

Il s’agit des deux premières affaires concernant les réseaux sociaux à l’agenda de l’actuelle session de la Cour suprême, qui s’est ouverte le 2 octobre.

La Cour examinera dans les prochains mois, en pleine année électorale, la constitutionnalité de lois interdisant aux réseaux sociaux de bloquer des utilisateurs, adoptées par le Texas et la Floride, deux États du Sud dirigés par des républicains.

Ces lois adoptées en 2021 visent à juguler la « censure » des opinions conservatrices dont les élus républicains accusent régulièrement les géants de l’internet.