(Washington) Les enjeux ne pourraient être plus grands ni les électeurs plus désabusés : les États-Unis s’acheminent vers un nouveau duel présidentiel entre Trump et Biden, dans un pesant climat de lassitude démocratique et de violence politique.

« C’est difficile de s’enthousiasmer », reconnaît Keely Catron, 22 ans, « c’est frustrant que nos deux seules options soient deux hommes blancs très âgés. »

Habitante de l’Arizona, un État qui sera clé pour la présidentielle du 5 novembre 2024, cette étudiante en sciences de l’éducation votera donc sans joie, mais sans hésitation non plus pour Joe Biden.

Au sein du parti démocrate, la candidature du président de 80 ans ne suscite aucune contestation sérieuse, malgré sa popularité anémique et les inquiétudes sur son âge.

Quant à Donald Trump, 77 ans, bien que cerné par les poursuites judiciaires, il n’en caracole pas moins en tête de la course à l’investiture républicaine.

Pourtant les sondages montrent qu’une majorité d’Américains voudraient d’autres candidats.

Faut-il alors s’étonner que 65 % d’entre eux disent être souvent ou toujours épuisés en pensant à la vie politique, selon une récente enquête d’opinion de l’institut Pew Research ?

Cette lassitude prend aussi la forme d’une défiance sourde envers les deux grands partis, les institutions et, pour une minorité, envers la notion même de démocratie.

Selon le centre de recherches politiques de l’université de Virginie, 31 % des partisans de Donald Trump, mais aussi 24 % de ceux de Joe Biden jugent que la démocratie n’est plus un système viable et qu’il faudrait explorer d’autres formes de gouvernement.

Ce découragement, cette crispation, l’ancien président républicain comme l’actuel chef d’État y répondent de manière radicalement opposée.

« Grand débordement »

Joe Biden croit toujours pouvoir réparer « l’âme » de l’Amérique.

« Nous sommes les États-Unis d’Amérique, pour l’amour de Dieu, il n’y a rien que nous ne puissions faire, si nous le faisons ensemble ! » répète-t-il à chaque discours ou presque.

D’où ses appels réguliers au consensus, en dépit des clivages partisans désormais béants, et sa conviction que si la classe moyenne vit bien, les institutions seront préservées.

Donald Trump, lui, parie sur l’envie de poigne, voire sur la tentation de l’autoritarisme, face à un « déclin » qu’il promet d’enrayer.

Il attaque donc sans relâche la faiblesse supposée de son adversaire, qu’elle soit physique, mentale ou diplomatique.

« Nos ennemis comme nos alliés le considèrent comme une pathétique plaisanterie », a asséné Donald Trump récemment après un discours de politique étrangère de Joe Biden.

En 1868, un certain Georges Clémenceau, jeune correspondant en Amérique du journal parisien Le Temps, observait déjà avec fascination la violence verbale et parfois physique autour de l’élection présidentielle : « un dévergondage général des esprits » qui « se termine bien rarement sans émeutes et sans batailles ».

Mais le futur chef du gouvernement français notait aussi qu’après ce « grand débordement du trop-plein de toutes les passions », « la volonté du peuple se manifeste souveraine, et l’ordre se fait soudain ».

« Le vainqueur monte au Capitole, tandis que le parti vaincu ajourne et prépare sa revanche », écrivait-il.

Sauf que Donald Trump n’a jamais reconnu sa défaite en 2020 et promet, s’il gagne l’an prochain, de gracier des assaillants du 6 janvier 2021.

Ce jour-là, une foule de ses partisans avait envahi le Capitole, siège du Congrès, pour tenter d’empêcher la certification de l’élection de Joe Biden.

Le scrutin de 2024, quelle que soit son issue, verra-t-il le même type de contestation violente ?

Selon une enquête de l’université de Chicago, près de 7 % des Américains estimaient en juin que le recours à la force était justifié pour ramener Donald Trump au pouvoir, tandis qu’un peu plus de 11,5 % jugeaient au contraire justifié de recourir à la violence pour l’empêcher de redevenir président.