(New York) Comme la plupart des observateurs de la scène politique au Minnesota, David Schultz se gratte la tête en tentant de comprendre ce qui peut bien motiver Dean Phillips.

En octobre dernier, ce représentant quasiment inconnu de l’État aux 10 000 lacs est devenu le premier élu démocrate à déclarer son intention de disputer à Joe Biden l’investiture de son parti pour l’élection présidentielle de 2024. Ancien président de l’entreprise familiale, Phillips Distilling Company, et copropriétaire de Talenti Gelato, l’une des marques de crème glacée les plus populaires aux États-Unis, il puise dans sa fortune considérable pour financer une campagne qui suscite autant de questions que de critiques.

« Pourquoi a-t-il décidé de se présenter à l’élection présidentielle ? On peut envisager la question à plusieurs niveaux », dit David Schultz, professeur de droit et de science politique à l’Université Hameline, à Saint Paul, tout près de la banlieue aisée où Dean Phillips a décroché son premier mandat à la Chambre des représentants en 2018.

Il évoque d’abord les raisons que le représentant de 54 ans, père de deux adolescentes, a lui-même offertes depuis le début de sa campagne. Joe Biden ne devrait pas solliciter un second mandat. Il a accompli du bon travail comme président, mais il a fait son temps. Message que s’évertue à marteler l’électorat par le biais des sondages.

« Mais il y a aussi une autre théorie, et je vais être franc là-dessus, enchaîne David Schultz. Dean Phillips est multimillionnaire, il fait partie de la minorité à la Chambre des représentants, et ce n’est pas très amusant. Il s’ennuie. Il cherche quelque chose d’autre. Et ce quelque chose d’autre ressemble, à mon avis, à une quête présidentielle à la Don Quichotte. »

Une candidature qui pourrait nuire à Biden

À l’image du personnage de Miguel de Cervantes, Dean Phillips prendrait donc ses rêves pour la réalité, étant peut-être le seul à croire en ses chances de battre Joe Biden. Mais, pour ridicules que puissent sembler ses rêves, plusieurs partisans et conseillers du président démocrate pensent qu’il peut lui nuire en s’attaquant avec insistance à chacune de ses vulnérabilités.

PHOTO MEG KINNARD, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

T-shirts de la campagne présidentielle de Dean Phillips

Car Dean Phillips ne parle pas seulement de l’âge de Joe Biden ou de son impopularité. Il invoque aussi l’enquête en destitution dont l’occupant de la Maison-Blanche fait l’objet à la Chambre, où les républicains explorent ses liens financiers avec son fils Hunter et son frère James.

« Je n’en vois pas la preuve, mais oui, lorsque votre propre fils et votre propre frère agissent clairement, au minimum, à l’encontre de l’éthique et, au pire, font des choses illégales, mon Dieu, bien sûr que le pays y prête attention », a-t-il déclaré récemment au site d’information The Messenger.

Les gens pensent peut-être que [Joe Biden] ne peut pas être élu dans les circonstances. D’une manière ou d’une autre, cela fait un amalgame entre lui et les magouilles de la famille Trump.

Le représentant Dean Phillips

Joe Biden et son entourage se gardent de commenter de tels propos. Mais on devine qu’ils n’en sont pas enchantés.

Sur le plan politique, Dean Phillips est un démocrate centriste, bien qu’il ait fait sienne récemment une proposition populaire chez les partisans progressistes de Bernie Sanders, à savoir l’assurance maladie pour tous.

Une hantise des mensonges

Sur le plan personnel, le natif de Saint Paul est souvent décrit comme un homme sincère et idéaliste. Un homme qui ne peut tolérer les mensonges depuis sa découverte de la vérité sur les circonstances de la mort de son père durant la guerre du Viêtnam, alors qu’il n’avait que 6 mois (sa mère s’est remariée avec un héritier de la Phillips Distilling Company).

Il a déclaré au journaliste Tim Alberta, du magazine The Atlantic, que cette hantise des mensonges avait contribué à sa décision de briguer la présidence. Avant d’annoncer sa candidature, il dit avoir entendu de nombreux collègues démocrates exprimer en privé leurs doutes sur les chances de Joe Biden d’être réélu. Comme lui, ils voyaient ces sondages indiquant que 70 % des démocrates de moins de 35 ans souhaitaient un autre candidat présidentiel, ou que les électeurs des États clés se rangeaient du côté de Donald Trump plutôt que de Joe Biden sur une majorité de questions politiques, y compris l’économie et l’immigration.

Ce ne sont pas des chiffres que l’on peut minimiser. Ce n’est pas parce que [Joe Biden] est vieux qu’il est disqualifié. Mais être vieux, sur le déclin, et avoir des chiffres qui évoluent clairement dans la mauvaise direction ?

Le représentant Dean Phillips, en entrevue avec le journaliste Tim Alberta, du magazine The Atlantic

Dean Phillips a dit avoir tenté de convaincre plusieurs gouverneurs démocrates de se lancer dans la course à l’investiture démocrate, dont ceux de l’Illinois (J. B. Pritzker) et du Michigan (Gretchen Whitmer). Quand personne n’a répondu à l’appel, il a décidé de se porter lui-même candidat.

« Quelqu’un devait le faire, a-t-il dit à Tim Alberta. C’était tellement évident. »

Cela dit, Don Quichotte n’est pas le personnage auquel Dean Phillips s’identifie. Ces derniers temps, il invoque plutôt le nom de Eugene McCarthy. En mars 1968, celui qui était alors sénateur du Minnesota et candidat antiguerre a causé un séisme politique en remportant 42 % des voix lors de la primaire démocrate du New Hampshire contre 48 % pour le président sortant, Lyndon Johnson.

Convaincu par ces résultats de la vulnérabilité du président démocrate, le sénateur de l’État de New York Robert Kennedy, frère de John Kennedy, a annoncé peu après sa candidature à la présidence, contribuant à la décision inattendue de Lyndon Johnson de renoncer à un autre mandat à la présidence.

Phillips rêve à une reprise du scénario de 1968. Il croit peut-être qu’il peut ébranler Biden au New Hampshire et encourager un autre démocrate à entrer dans la course, un Gavin Newsom [gouverneur de Californie], par exemple.

David Schultz, professeur de l’Université Hameline

La possibilité d’une victoire de Dean Phillips au New Hampshire ne peut être exclue, pour la simple raison que le nom de Joe Biden n’apparaîtra pas sur les bulletins de vote, le 23 janvier prochain. Il s’agit d’une situation qui découle de l’insistance du New Hampshire de tenir sa primaire démocrate avant celle de la Caroline du Sud, contrairement au souhait du Parti démocrate, qui ne décernera aucun délégué à l’issue du vote dans le Granite State.

Dans les circonstances, la primaire démocrate du New Hampshire aura tout au plus une valeur symbolique. Néanmoins, le Don Quichotte du Parti démocrate voit poindre à l’horizon le champ de bataille qui le transformera en héros.