« Scalpée ! » Mardi dernier, tout à sa joie d’avoir contribué à la démission de la présidente de l’Université Harvard, Claudine Gay, le militant conservateur Christopher Rufo a évoqué sur X l’horrible pratique empruntée à certaines tribus par des colons blancs dans leur campagne génocidaire contre les Amérindiens.

Première personne de couleur et deuxième femme à diriger la prestigieuse institution fondée en 1636, Gay a quitté son poste en raison des polémiques soulevées par ses réponses évasives sur l’antisémitisme lors d’une audition au Congrès et des accusations de plagiat.

Mais le scalp de cette fille d’immigrés haïtiens, dont la présidence n’aura duré que six mois, n’est pas la fin de l’histoire. Il n’est, en fait, que l’épisode le plus retentissant d’une ambitieuse campagne menée par Rufo et ses alliés pour éliminer les programmes destinés à promouvoir la diversité, l’équité et l’inclusion (DEI) dans les institutions américaines, y compris les universités et les entreprises.

« Aujourd’hui, nous célébrons la victoire », a écrit Rufo, déjà connu pour son combat contre l’enseignement supposé de la théorie critique de la race au primaire et au secondaire. « Demain, nous reprendrons le combat. Nous ne devons pas nous arrêter tant que nous n’aurons pas aboli l’idéologie DEI de toutes les institutions américaines. »

PHOTO TODD ANDERSON, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Christopher Rufo

Claudine Gay était l’un des plus grands symboles de cette idéologie, aux yeux des conservateurs. Dès sa nomination à la présidence de Harvard, ces derniers ont critiqué la « minceur » de sa production – 11 articles évalués par des pairs – et la rapidité du processus ayant mené à sa sélection. Nombre d’entre eux ont conclu que Gay, qui avait notamment été doyenne de la plus importante faculté de Harvard, avait été choisie non pas en raison de son expérience, mais de la couleur de sa peau et de son sexe.

L’investisseur milliardaire William Ackman, ancien de Harvard et donateur, a repris cette critique à son compte après la performance décriée de Gay devant une commission de la Chambre des représentants le 7 décembre dernier. (Invitée à dire si l’appel au génocide des juifs violait les règles de Harvard sur l’intimidation ou le harcèlement, elle a louvoyé : « Ça peut être le cas, selon le contexte. »)

« Réduire le nombre de candidats sur la base de critères de race, de sexe ou d’orientation sexuelle n’est pas la bonne approche pour déterminer les meilleurs dirigeants pour nos universités les plus prestigieuses », a écrit Ackman sur X, où le financier compte plus de 1 million d’abonnés.

Vox populi, vox DEI ?

La plupart des politiciens conservateurs partagent la hantise de Rufo et d’Ackman envers les programmes de DEI, fruits du « wokisme » qu’ils dénoncent. En Floride, le gouverneur républicain Ron DeSantis a promulgué deux des 40 projets de loi qui avaient été introduits en juillet dernier dans 22 États américains pour restreindre ou abolir ces programmes dans les universités publiques, selon les données compilées par la Chronicle of Higher Education.

En milieu de travail, le public ne semble pas partager cette hantise. Selon un sondage du Pew Research Center publié en mai dernier, seulement 16 % des travailleurs américains voient les initiatives de DEI comme une mauvaise chose.

Or, selon les critiques de ses effets dans le monde universitaire, l’idéologie DEI n’a pas seulement engendré une bureaucratie qui influence le recrutement d’étudiants et de professeurs au détriment du mérite, elle a également nui à la liberté universitaire en chassant de certains campus des professeurs et en imposant des serments d’allégeance à la diversité.

Dans le cas de Gay, les accusations de plagiat, dont Rufo s’est fait l’un des principaux relais, se sont ajoutées à la controverse sur l’antisémitisme pour créer une tempête parfaite. Le 12 décembre dernier, la Corporation de Harvard a révélé qu’un examen avait relevé « quelques cas de citations inadéquates », mais « aucune violation des normes de Harvard en matière d’inconduite dans la recherche ».

N’empêche : fin décembre, Gay a conclu qu’elle avait perdu l’appui des administrateurs de l’université. Le jour où elle a annoncé sa démission, le site conservateur Washington Free Beacon a dévoilé des passages d’un de ses articles qui auraient dû être attribués à David Cannon, politologue de l’Université du Wisconsin, selon ses journalistes (Cannon a lui-même nié qu’il s’agissait d’un plagiat).

Dans une tribune publiée par le New York Times la semaine dernière, Gay a admis des erreurs sur la façon dont elle a répondu à l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre dernier, ainsi qu’aux questions sur l’antisémitisme lors de l’audition devant le Congrès. Elle a cependant défendu l’originalité et l’influence de sa production universitaire.

Après avoir fait allusion aux menaces de mort et aux insultes racistes qui l’ont visée, elle a aussi lancé un avertissement à propos de la campagne menée par Rufo et ses alliés.

Les campagnes de ce type commencent souvent par des attaques contre l’éducation et l’expertise, car ce sont les outils qui permettent le mieux aux communautés de voir clair dans la propagande. Mais de telles campagnes ne s’arrêtent pas là.

Claudine Gay, ancienne présidente de l’Université Harvard

Des voix se sont portées à la défense de Gay. Tressie McMillan Cottom, professeure à l’Université de Caroline du Nord, a notamment dénoncé la façon dont le « spectre » des initiatives sur la DEI avait entaché la présidence de Gay. Dans un texte également publié par le New York Times, elle a rappelé que l’ouverture de Harvard aux personnes ayant été marginalisées ou désavantagées historiquement – les femmes, les Juifs ou les immigrants – a toujours suscité des craintes concernant leur « mérite ».

Or, a-t-elle écrit, « chaque fois que des politiciens, des militants et des investisseurs s’accordent pour dire qu’il y a une crise du mérite à Harvard, cela signifie qu’une bataille fait rage, non pas pour la rigueur, mais pour le pouvoir ».

Bill Ackman,
arroseur arrosé

Figure de proue de la campagne pour destituer Claudine Gay, l’investisseur milliardaire William Ackman doit désormais défendre sa femme, Neri Oxman, contre des accusations de plagiat.

Née en Israël et naturalisée américaine, Oxman est une ancienne professeure au Massachusetts Institute of Technology (MIT). Après un article du site d’information Business Insider, elle a reconnu avoir copié des phrases et des paragraphes de Wikipedia dans sa thèse
de doctorat.

Elle s’est excusée de ces « erreurs » qui, a-t-elle précisé, ne concernent que quelques paragraphes dans une thèse de 330 pages.

Business Insider a identifié d’autres travaux d’Oxman comprenant des passages problématiques.

De commenter Ackman : « Il est regrettable que les actions que j’ai menées pour résoudre les problèmes de l’enseignement supérieur aient conduit à ces attaques contre
ma famille. »