(San Francisco) Ouvriers de l’automobile à Detroit. Acteurs et scénaristes à Hollywood. Enseignants à Portland, dans l’Oregon. Ajoutez à cette liste un petit groupe de locataires californiens.

Durant l’année 2023, qui a vu plus de 500 000 travailleurs américains débrayer, des locataires de San Francisco ont employé la grève dans un domaine différent : leurs domiciles.

Les locataires de 65 appartements de San Francisco font la grève des loyers, certains depuis huit mois, retenant leurs paiements mensuels en raison d’une série de problèmes qui, disent-ils, rendent leurs vies difficiles.

Quelques grèves des loyers avaient déjà eu lieu à New York et à Los Angeles. Mais des militants à la ferveur renouvelée tentent maintenant de fédérer des locataires dans tout le pays, dénonçant l’arrivée de grandes sociétés immobilières qui, selon eux, supplantent les petits propriétaires et n’entretiennent pas les logements.

PHOTO AMY OSBORNE, THE NEW YORK TIMES

Yue Lin Wu, locataire dans un édifice locatif de San Francisco, discute avec Katelynn Cao, du Comité pour le droit au logement de San Francisco, au sujet de la grève des loyers déclenchée pour faire pression sur les propriétaires.

« De nos jours, la plupart des locataires ont comme propriétaires des sociétés de gestion anonymes et sans visage », affirme Tara Raghuveer, directrice de la campagne Homes Guarantee, qui encourage la formation de syndicats de locataires comme celui de San Francisco.

Les dénoncer sur la place publique ne marche pas. La grève des loyers est de plus en plus nécessaire.

Tara Raghuveer, directrice de la campagne Homes Guarantee

San Francisco compte l’une des plus fortes concentrations de locataires au pays, soit environ les deux tiers des ménages, à peu près autant qu’à New York. Les élus de San Francisco sont donc à l’écoute de cet important groupe d’électeurs. Bien que les loyers aient baissé par rapport aux sommets atteints avant la pandémie, San Francisco reste une des villes les plus chères où se loger.

Nouveaux droits

En 2022, les élus municipaux ont adopté le règlement « Union at Home », première disposition de ce type aux États-Unis. Elle permet aux locataires de se regrouper en associations et oblige les propriétaires à négocier avec eux, tout comme un employeur est tenu de négocier avec des travailleurs syndiqués.

La loi protège les locataires utilisant les espaces communs pour recruter des adhérents ou y inviter des militants pour parler de leurs droits aux résidants.

En un an, les locataires de 55 immeubles de San Francisco y ont créé chacune son association, réclamant diverses améliorations, notamment des réparations plus rapides, une réduction des charges et la traduction de documents pour les locataires qui ne parlent pas anglais. La plupart des associations n’ont pas déclenché de grève des loyers.

Il y a des associations de locataires ailleurs au pays, mais les propriétaires ne sont pas tenus de négocier de bonne foi avec elles, comme c’est le cas à San Francisco.

Dans Tenderloin, un quartier relativement bon marché qui attire les familles immigrées pauvres, les locataires ont commencé à s’unir. C’est un quartier dur, avec ses appartements vieux et défraîchis, des ventes de drogues en pleine rue et des campements de sans-abri.

Luisa Rodriguez, 38 ans, est arrivée du Salvador en 2020 avec deux enfants, aujourd’hui âgés de 9 et 18 ans, et en a eu un troisième à San Francisco. La famille vit dans un petit studio au sixième étage, qui coûte 1600 $ par mois. Mme Rodriguez, qui est cuisinière, n’a pas payé le propriétaire depuis juin. Les locataires en grève versent leur loyer à un compte en fiducie jusqu’à ce que leurs revendications soient satisfaites.

PHOTO AMY OSBORNE, THE NEW YORK TIMES

Luisa Rodriguez et sa fille Dara montrent une photo de la moisissure qui se trouvait dans leur appartement avant qu’il ne soit repeint en mars 2023.

Mme Rodriguez et ses enfants dorment ensemble dans deux lits poussés contre un mur afin de les tenir aussi loin que possible d’une efflorescence de moisissure.

Elle a montré des photos d’une mousse verte sur le cadre de la fenêtre et descendant le long du mur. La mousse s’est propagée à des vêtements, dans un placard près de la fenêtre, dit-elle. Elle a dû les jeter et n’a pas les moyens de les remplacer.

Elle a montré une lettre d’un médecin du San Francisco Health Network indiquant au propriétaire que « la moisissure met en danger la santé des locataires » et lui demandant d’agir immédiatement.

Veritas Investments, qui possède l’immeuble, affirme que ses ouvriers ont réparé une fissure dans la fenêtre, utilisé un équipement de séchage pour remédier à l’eau infiltrée, puis traité, scellé et peint la fenêtre et le cadre pour empêcher la moisissure de réapparaître.

La moisissure n’était plus visible lors de la visite du Times, mais la famille n’est pas sûre que le problème soit résolu. Dara, 3 ans, continue de tousser durant la nuit, empêchant la famille de dormir, dit Mme Rodriguez.

Vieux immeubles

Le parc immobilier de San Francisco compte beaucoup de bâtiments anciens de plus en plus chers à entretenir. Dans une ville notoirement en manque de logements, ces vieux immeubles sont parmi les rares options des locataires à bas revenus.

Veritas, un des grands propriétaires de San Francisco, possède la plupart des immeubles où les associations de locataires font la grève des loyers. Mais ses actifs en ville diminuent. Comme d’autres sociétés immobilières ébranlées par la pandémie, Veritas s’est déclarée insolvable en 2023 et vend une partie de son énorme portefeuille.

Selon Ron Heckmann, porte-parole de Veritas, nombre de ses immeubles ont plus d’un siècle et la société a trimé dur pour satisfaire ses locataires, dépensant des millions de dollars en rénovations. Les ascenseurs sont obsolètes et les pièces doivent être fabriquées sur mesure ; la plomberie, l’électricité et le chauffage sont vieillissants et complexes, ajoute-t-il.

M. Heckmann dit que seule une petite fraction des milliers de locataires de Vertitas à San Francisco participe à la grève des loyers.

Selon le porte-parole de Veritas, la grève est le résultat d’une campagne idéologique menée par Brad Hirn, un militant du mouvement Housing Rights Committee, qui a encouragé et encadré les associations de locataires.

Mais Brad Hirn affirme que les immeubles ont de véritables problèmes : cafards, vermine, moisissure, boîtes aux lettres brisées et ascenseurs en panne. Heckmann rétorque que Veritas s’efforce d’agir rapidement chaque fois que des problèmes de ce type sont soulevés par les locataires.

Selon M. Hirn, les locataires mettront fin aux grèves quand la société retranchera une partie du loyer en cas de violation des codes et améliorera les protocoles de santé et de sécurité.

« Avec le soutien nécessaire, ils peuvent obtenir des choses qu’ils croyaient impossibles », a-t-il déclaré.

Cet article a été publié dans le New York Times.

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