Nikki Haley joue son va-tout au New Hampshire

(Franklin) Michael Landry et Nikki Haley pensent la même chose de Donald Trump, mais ils ne s’accordent pas sur la façon de le dire en ce lundi matin, dans une salle communautaire de Franklin, petite ville située au cœur de la région centrale du New Hampshire.

À la veille de la primaire républicaine de cet État imprévisible, l’un s’exprime en employant un langage cru qu’il a sans doute acquis en travaillant pendant une bonne partie de sa vie comme gardien de prison.

L’autre utilise les circonvolutions sémantiques qui sont monnaie courante dans les corridors des Nations unies, où elle a représenté les États-Unis à titre d’ambassadrice.

PHOTO RICHARD HÉTU, COLLABORATION SPÉCIALE

Michael Landry

« Donald Trump attire les emmerdes comme un aimant », dit Michael Landry, un électeur républicain, avant le discours de Nikki Haley, dont les ambitions présidentielles reposent sur le verdict électoral du New Hampshire, deuxième État après l’Iowa à s’exprimer dans la course à l’investiture républicaine pour l’élection présidentielle de 2024.

« J’en ai assez de ça, ajoute-t-il. Nikki Haley a un passé beaucoup moins chargé que Donald. Toutes ses affaires judiciaires sont ce qui me pousse à m’éloigner de lui. S’il est condamné, comment peut-il devenir président ? »

L’ombre des ennuis judiciaires

Au moment où Michael Landry prononce ces paroles, Donald Trump n’est pas au New Hampshire, mais à New York, où il assiste au deuxième procès en diffamation intenté contre lui par l’ex-journaliste E. Jean Carroll. À l’issue du premier procès, en mai dernier, un jury l’a déclaré responsable de diffamation et d’agression sexuelle. Un juge de New York a par la suite déclaré que cette agression correspondait à un viol.

Dans son discours de Franklin, prononcé devant quasiment autant de journalistes que de partisans, Nikki Haley fait référence aux affaires qui visent Donald Trump en employant une formule trop diplomatique au goût des critiques de l’ancien président : « À tort ou à raison, le chaos le suit. »

À tort ou à raison ?

La formule a pour but de ménager les sensibilités des électeurs républicains. Mais elle rejoint de nombreux électeurs indépendants qui l’entendent à Franklin et dont la participation à la primaire républicaine pourrait contribuer à créer une surprise mardi soir.

« Je prends très au sérieux les démêlés de Donald Trump avec la justice », dit Dale Spaulding, ingénieur civil à la retraite.

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Dale Spaulding

Contrairement à plusieurs républicains, je respecte l’indépendance et le professionnalisme des procureurs qui ont rédigé les chefs d’accusation qui visent l’ancien président. Et je ne me sentirais pas à l’aise de voter pour lui dans les circonstances.

Dale Spaulding, électeur

Les sondages menés au New Hampshire laissent croire que les électeurs républicains de cet État ne se formalisent pas davantage de ces affaires que ceux de l’Iowa, dont les caucus ont été facilement remportés par Donald Trump la semaine dernière.

Lundi, le baromètre quotidien mené par l’Université Suffolk pour le Boston Globe et NBC10 créditait Donald Trump d’une avance de 19 points de pourcentage sur Nikki Haley au New Hampshire.

La plupart des anciens rivaux de Donald Trump, y compris Ron DeSantis, se sont également rangés derrière Donald Trump depuis les caucus de l’Iowa. Trois d’entre eux – le sénateur de Caroline du Sud Tim Scott, l’entrepreneur Vivek Ramaswamy et le gouverneur du Dakota du Nord Doug Burgum – ont d’ailleurs participé à l’unique rassemblement tenu lundi par l’ancien président au New Hampshire.

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Nikki Haley a rencontré des électeurs dans un restaurant du New Hampshire, lundi.

D’où l’impression d’un couronnement que Nikki Haley a tenté de combattre lundi à chacun de ses discours, en commençant par celui de Franklin.

J’ai vu toute l’élite politique, toute l’élite médiatique, hier et aujourd’hui, dire que je devrais abandonner pour le bien du pays et soutenir Donald Trump. Soyons claire : Donald Trump a remporté 56 000 voix en Iowa sur 3 millions, soit 1,5 % des voix.

Nikki Haley

« L’Amérique ne fait pas de couronnement, a-t-elle enchaîné. Nous croyons aux choix. Nous croyons en la démocratie et en la liberté. »

Surprenant New Hampshire

Le New Hampshire est réputé pour ses surprises électorales. John McCain a créé l’une des plus grandes en renversant George W. Bush, le grand favori de la course à l’investiture républicaine pour l’élection présidentielle de 2000, grâce à l’appui des indépendants du Granite State.

Maureen Clark a arrêté son choix sur Nikki Haley à l’issue d’une réflexion qui illustre le caractère excentrique de certains électeurs indépendants du New Hampshire. Elle a pensé à l’élevage des chiens de traîneau, une passion et une entreprise familiale qui remonte aux aventures de son grand-père au Labrador.

« Quand tu choisis un leader pour un attelage, tu veux un chien intelligent, capable de prendre une décision en une fraction de seconde, capable de maintenir l’équipage soudé, afin de sauver le chargement et le conducteur. Et parfois, ce leader est une femelle », a-t-elle dit.

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Maureen Clark

J’espère que Nikki Haley fera bonne figure. Je ne pense pas qu’elle battra Trump, mais je pense qu’elle réalisera une performance assez forte pour lui permettre de continuer sa campagne.

Maureen Clark, électrice

Et que devrait-on conclure d’une victoire de Donald Trump par une forte marge au New Hampshire ?

« Je ne sais pas si je veux m’exprimer publiquement sur Trump », répond Maureen Clark, dont l’entreprise familiale se trouve à Lincoln, dans les White Mountains.

Carolyn Butler, une ancienne directrice d’école, n’a pas cette gêne.

« Il est trop vieux », dit-elle en parlant du candidat républicain de 77 ans. « Il est trop bruyant et il n’écoute pas les autres. »

En revanche, Nikki Haley, âgée de 51 ans, représente à ses yeux une « nouvelle génération ».

Cela dit, cette électrice indépendante n’avait pas encore fait son choix lundi. Comme nombre d’électeurs du New Hampshire, elle se décidera à la dernière minute, après avoir vu un ou plusieurs des candidats en personne, comme le veut la tradition politique de cet État qui prend ses primaires au sérieux.

« Je me rendrai au bureau de scrutin et je prendrai une décision demain matin », dit-elle.

La tradition n’empêche évidemment pas de penser que Nikki Haley, la dernière rivale de Donald Trump, pourra compter sur son vote. Mais cela pourrait ne pas suffire à empêcher le couronnement de l’ancien président.

Deux scénarios pour une course à finir

En 2016, Donald Trump s’est déclaré « candidat présomptif » du Parti républicain à la présidence le 26 avril, après avoir battu ses deux derniers rivaux, Ted Cruz et John Kasich, dans les cinq États du Nord-Est qui tenaient des primaires ce jour-là. Il devait cependant attendre au 26 mai avant d’atteindre le chiffre magique de 1237 délégués requis pour revendiquer officiellement l’investiture républicaine.

Huit ans plus tard, l’ancien président ne devrait pas avoir à patienter aussi longtemps avant de s’affubler du titre de « candidat présomptif ». Mais après le retrait de Ron DeSantis, sa dernière rivale, Nikki Haley, peut-elle encore rêver à un scénario lui permettant de lui barrer la route ?

Regardons-y de plus près.

PHOTO MIKE SEGAR, REUTERS

Donald Trump au New Hampshire, dimanche

Trump : vite fait, bien fait

Donald Trump pourrait très bien répéter en 2024 l’exploit qu’Al Gore a réussi en 2000 : remporter tous les caucus et primaires de la saison électorale. Mais l’ancien président devrait crier victoire beaucoup plus rapidement que l’ancien vice-président, qui avait attendu au 15 mars, soit après le retrait de son dernier rival, Bill Bradley, pour le faire.

En remportant une victoire convaincante au New Hampshire mardi soir, Donald Trump pourrait être tenté d’affirmer haut et fort que Nikki Haley n’a plus aucune chance de le battre, et personne n’oserait le contredire. D’autant plus qu’aucun candidat républicain n’a échoué à remporter l’investiture présidentielle après avoir enlevé les caucus d’Iowa et la primaire du New Hampshire.

Mais Donald Trump pourrait aussi attendre la primaire républicaine de Caroline du Sud, prévue le 24 février, avant de revendiquer l’investiture, ne serait-ce que pour s’offrir le plaisir de plastronner dans l’État où Nikki Haley a vu le jour et servi deux mandats à titre de gouverneure.

Très populaire auprès des électeurs républicains de Caroline du Sud, Donald Trump jouit aussi de l’appui des membres de l’élite républicaine de cet État, y compris le gouverneur actuel et les sénateurs Lindsey Graham et Tim Scott.

Entre la primaire du New Hampshire et celle de la Caroline du Sud, le Nevada tiendra des caucus de moindre importance, le 8 février.

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Nikki Haley au New Hampshire, lundi

Haley : ça se joue au New Hampshire

Après une troisième place plutôt décevante en Iowa, Nikki Haley a besoin d’un résultat beaucoup plus convaincant au New Hampshire pour justifier la poursuite de sa campagne.

L’électorat qui participera à la primaire républicaine de cet État de la Nouvelle-Angleterre lui est favorable jusqu’à un certain point. On y trouve des républicains plus modérés qu’ailleurs et des indépendants qui rejettent le mouvement MAGA et son chef.

Une bonne performance au New Hampshire ne serait évidemment pas garante d’une victoire de Nikki Haley dans son État natal. Mais elle pourrait lui donner un élan suffisant pour lui permettre de participer aux primaires du « super mardi », qui auront lieu le 5 mars dans 15 États et un territoire et mettront en jeu plus du tiers des 2429 délégués disponibles.

Forte d’un certain nombre de délégués, Nikki Haley pourrait jouer les trouble-fêtes à l’occasion de la convention républicaine, surtout si Donald Trump était condamné dans l’un des procès criminels dont il fait l’objet.

Cela dit, elle pourrait aussi mettre fin à sa campagne après la primaire du New Hampshire ou de la Caroline du Sud après une performance décevante dans l’un ou l’autre de ces États.

En attendant, elle tire de l’arrière par près de 20 points de pourcentage dans les derniers sondages menés au New Hampshire.