(New York) En 2004, soit la même année où Taylor Swift a signé son premier contrat de disque, une nouvelle expression s’est ajoutée au vocabulaire de la politique américaine : « swiftboating ».

Le terme n’avait rien à voir avec l’auteure-compositrice-interprète précoce, mais il sert à expliquer les attaques récentes dont elle fait l’objet. Il illustre aussi les limites ou les dérives des « guerres culturelles » dont se délecte la droite américaine.

L’expression « swiftboating » fait aujourd’hui référence à une campagne mensongère destinée à dénigrer un adversaire politique en s’attaquant à un aspect positif, voire vertueux, de sa personnalité ou de son histoire.

Ainsi, en 2004, le candidat présidentiel du Parti démocrate, John Kerry, misait sur son service militaire au Viêtnam pour vaincre George W. Bush, président de guerre. Engagé volontaire, Kerry était rentré au pays en 1969, blessé et décoré plusieurs fois, après avoir servi comme commandant d’un « swift boat », une vedette rapide.

Or, pendant la campagne présidentielle, un groupe appelé Swift Boat Veterans For Truth avait mis en doute les exploits militaires qui avaient valu au sénateur du Massachusetts trois Purple Hearts, une Bronze Star et une Silver Star. Ils avaient fini par transformer le héros en menteur et en traître aux yeux d’une partie de l’électorat.

Le « swiftboating » de John Kerry avait donc été un franc succès. Celui de Taylor Swift est déjà considéré comme un échec lamentable, susceptible de se retourner contre Donald Trump, candidat préféré de ses instigateurs. La question est de savoir si ces derniers s’en soucient vraiment.

Les Swift Boat Veterans For Truth n’avaient qu’un objectif en tête : contribuer à la réélection du président Bush. Les animateurs, commentateurs et influenceurs conservateurs qui propagent les théories du complot les plus absurdes concernant Taylor Swift ont d’autres priorités que l’élection de Donald Trump. Ils cherchent évidemment à dénigrer Taylor Swift, idole d’une génération de jeunes Américaines en âge de voter, en prétendant que son succès « n’est pas organique », ou authentique, et que son appui à Joe Biden lui serait dicté par des forces occultes.

Théories du complot

Mais l’ineptie de leurs théories démontre que leur objectif premier ne repose pas sur un calcul politique. Ce que ces trolls veulent, c’est étendre leur empreinte médiatique ou numérique en produisant des contenus viraux qui les enrichiront.

« La NFL est truquée. Taylor Swift est une taupe. Tout est faux », a écrit Benny Johnson, animateur d’une balado homonyme et grand youtubeur devant l’Éternel, sur X, où il compte plus de 2 millions d’abonnés. « On se joue de vous », a-t-il ajouté.

Il semblait faire sienne la théorie du complot selon laquelle l’histoire d’amour de la blonde artiste aux yeux bleus avec Travis Kelce, footballeur barbu et baraqué de la NFL, est une « opération psychologique » orchestrée par le Pentagone qui finira par l’annonce de l’appui du couple à Joe Biden à la mi-temps du Super Bowl, dimanche.

Et c’est ainsi que le sport professionnel le plus populaire aux États-Unis et la chanteuse la plus populaire dans ce même pays sont devenus des ennemis publics aux yeux d’une certaine droite américaine, au même titre que d’autres institutions et entreprises emblématiques, dont Disney, Bud Light, la Major League Baseball et Pfizer, dont les vaccins contre la COVID-19 sont vantés par Kelce lui-même.

À titre de gouverneur de la Floride, Ron DeSantis a comblé les Benny Johnson de l’internet et du câble en cherchant notamment à punir Disney et Bud Light pour leurs positions sur des sujets touchant à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre.

Et il se promettait d’étendre à l’échelle des États-Unis son approche vis-à-vis des « guerres culturelles », expression qui fait référence aux débats les plus sensibles ou contrefaits qui animent la société américaine sur les questions morales et culturelles.

Mais ce « guerrier culturel », marié et père de trois jeunes enfants, a été victime, en tant que candidat présidentiel, d’un « swiftboating » dont Donald Trump s’est lui-même chargé.

« Dans une série d’attaques à connotation sexuelle, M. Trump a suggéré – sans la moindre preuve – que M. DeSantis portait des talons hauts, qu’il était peut-être homosexuel et qu’il était peut-être pédophile. Il a promis que M. DeSantis serait soumis à un examen national minutieux et qu’il se mettrait à pleurnicher pour réclamer sa “maman” », a résumé le New York Times dans un article récent sur « l’émasculation » du gouverneur de Floride.

Ron DeSantis a commis la même erreur que John Kerry. Il n’a pas répondu aux attaques diffamatoires à son endroit. Et il est retourné en Floride, cimetière du wokisme et, peut-être, de ses ambitions présidentielles.

Vers une « guerre sainte » contre la mégastar ?

Donald Trump ne commettra jamais cette erreur. Il observe avec une certaine crainte, mêlée d’irritation ou de jalousie, le tapage médiatique autour de Taylor Swift, affirmant qu’il est « plus populaire » qu’elle, selon les confidences recueillies par des journalistes du magazine Rolling Stone auprès de membres de son entourage. Ces derniers ont également brandi la menace d’une « guerre sainte » contre la mégastar si elle donne son appui à Joe Biden, comme elle l’avait fait en 2020.

On peut croire ou non à ces confidences, mais on ne peut douter de l’avertissement formulé par Sean Hannity, animateur de Fox News et confident de Donald Trump, qui a conseillé à Taylor Swift d’« y réfléchir à deux fois » avant d’annoncer une préférence électorale.

Il se trouve évidemment des conservateurs pour reconnaître que cette guerre culturelle contre Taylor Swift est une catastrophe pour un candidat et un parti qui ont déjà des problèmes avec les femmes en général, et les jeunes femmes en particulier.

Le comble, bien sûr, serait que Taylor Swift contribue à redéfinir le « swiftboating », 20 ans plus tard.