(Washington) Les actes de Donald Trump lors de l’assaut du Capitole le rendent-ils inéligible ? Les juges de la Cour suprême américaine ont paru jeudi soucieux de désamorcer cette question explosive en soulevant de multiples objections à la disqualification de l’ex-président.

À moins de neuf mois du scrutin présidentiel, l’archifavori des primaires républicaines demande l’annulation de la décision en décembre de la justice du Colorado ordonnant son retrait des bulletins de vote dans cet État de l’ouest du pays.

Les commentateurs juridiques se disputent sur la validité comme sur l’opportunité politique d’une telle procédure. Mais tous s’accordent à penser que la cour à majorité conservatrice, échaudée par sa décision controversée de 2000 donnant la victoire au républicain George W. Bush sur le démocrate Al Gore, tient à éviter de prêter le flanc aux soupçons d’ingérence électorale.

Pendant près de deux heures, la plupart des juges, indépendamment de leur orientation, se sont bien gardés de s’aventurer sur le terrain miné de la qualification des actes de Donald Trump lors de l’assaut du Capitole mais ont insisté sur les obstacles juridiques et les potentielles retombées d’une confirmation de la décision du Colorado.

Dans cette hypothèse, le président de la Cour, le conservateur John Roberts, s’est inquiété d’une possible réaction en chaîne dans laquelle les États contrôlés par les républicains disqualifieraient à leur tour le candidat démocrate.

« Une poignée d’États se retrouveraient à décider du résultat de l’élection présidentielle. Ce serait une conséquence particulièrement effrayante », a-t-il estimé.

« Pourquoi un seul État devrait-il décider de qui sera président des États-Unis ? », a également objecté la juge progressiste Elena Kagan.

Sur la trentaine d’États dans lesquels des recours en inéligibilité ont été engagés contre Donald Trump, seuls deux ont abouti, dans le Colorado et le Maine. Plusieurs États attendent néanmoins que la Cour suprême se prononce pour statuer définitivement.

« Échappatoire »

Ses avocats qualifient la décision du Colorado d’« anomalie » et appellent la Cour suprême à la casser pour « protéger les droits de dizaines de millions d’Américains qui souhaitent voter pour le président Trump ».

La décision du Colorado déclarant Donald Trump inéligible en vertu du 14e amendement de la Constitution revient à imposer à une « condition supplémentaire » pour se présenter, a plaidé devant la Cour son conseil, Jonathan Mitchell.

Cet amendement, adopté en 1868, visait alors les partisans de la Confédération sudiste vaincue lors de la guerre de Sécession (1861-1865). Il exclut des plus hautes fonctions publiques quiconque se serait livré à des actes de « rébellion » après avoir prêté serment de défendre la Constitution.

La justice du Colorado a considéré que les actes de Donald Trump le 6 janvier 2021 relevaient bien du 14e amendement.

Ce jour-là, des centaines de partisans du président sortant chauffés à blanc, notamment par ses allégations infondées de fraudes électorales, avaient pris d’assaut le Capitole, sanctuaire de la démocratie américaine, pour tenter d’y empêcher la certification de la victoire de son adversaire démocrate Joe Biden.

L’intéressé a réaffirmé jeudi n’avoir rien à se reprocher pour ses actions pendant l’assaut du Capitole et a dit s’en remettre à la Cour suprême, espérant que les arguments de ses avocats seraient entendus.

 « Retirez Trump » et « Trump a mené un complot », pouvait-on lire sur des affiches brandies jeudi par des manifestants jeudi devant la Cour suprême.

PHOTO JOSE LUIS MAGANA, ASSOCIATED PRESS

Des manifestants brandissent des pancartes devant la Cour suprême des États-Unis, jeudi.

Le caractère largement inédit du dossier complique tout pronostic, mais beaucoup d’experts prêtent aux neuf juges la tentation de trouver une « échappatoire » pour maintenir le nom de Donald Trump sur les bulletins de vote.

 « Dans une affaire aussi politiquement brûlante, la cour veut apparaître le plus apolitique possible », explique Steven Schwinn, professeur de droit constitutionnel à l’Université de l’Illinois à Chicago.

 « L’échappatoire la plus probable pour elle serait d’affirmer que seul le Congrès est habilité à retirer un candidat du bulletin pour l’élection présidentielle », ajoute-t-elle.

Un argument invoqué par les avocats de Donald Trump, mais contesté par des juristes qui soulignent qu’aucune intervention du Congrès n’est requise pour appliquer d’autres conditions d’éligibilité, comme l’âge minimal des candidats ou leur lieu de naissance.

Trois juristes renommés d’horizons politiques différents ont exhorté dans un mémoire les neuf juges à statuer sur le fond et non pas sur des questions de forme, afin de trancher définitivement le nœud gordien avant le jour du vote, le 5 novembre.

Sous peine, « avec un pays plus polarisé que jamais dans l’histoire récente », préviennent Edward Foley, Benjamin Ginsberg et Richard Hasen, de « prendre le risque d’une instabilité politique jamais vue depuis la guerre de Sécession ».