(New York) La Cour suprême des États-Unis a laissé peu de doute jeudi sur sa réponse aux efforts de l’État du Colorado pour disqualifier Donald Trump de l’élection présidentielle de 2024.

En fait, après l’audition des plaidoiries orales dans cette affaire, la seule question qui subsiste est la suivante : les neuf juges du tribunal seront-ils unanimes dans leur rejet de la décision de la Cour suprême du Colorado de déclarer l’ancien président inéligible à la primaire républicaine de cet État ?

Six électeurs du Colorado – quatre républicains et deux indépendants – réclament la disqualification de Donald Trump en vertu de l’article 3 du 14e amendement de la Constitution américaine. L’article interdit à toute personne ayant prêté serment de soutenir la Constitution d’exercer sa fonction si elle se livre ensuite à une insurrection.

« L’objectif du 14e amendement était de restreindre le pouvoir des États, n’est-ce pas ? », a demandé le juge John Roberts, président de la Cour suprême, à l’avocat du Colorado, lors de l’audition.

La question traduisait une crainte exprimée par plusieurs juges, tant conservateurs que progressistes, celle d’instaurer le chaos électoral en laissant chaque État décider de la disqualification d’un candidat à la présidence pour insurrection. Le juge Roberts a notamment évoqué un scénario où la disqualification d’un candidat dans un État entraîne la disqualification de son rival dans un autre État en représailles.

« Je m’attendrais à ce qu’un bon nombre d’États disent : “Quel que soit le candidat démocrate, vous n’êtes plus sur le bulletin de vote.” C’est une conséquence assez redoutable », a-t-il prévenu.

Deux autres juges conservateurs réputés pour leur modération relative, Brett Kavanaugh et Amy Coney Barrett, y sont allés de leurs propres scénarios d’horreur. Et leurs collègues progressistes Elena Kagan et Ketanji Brown Jackson n’ont pas caché leur propre malaise.

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Les juges de la Cour suprême des États-Unis Amy Coney Barrett (deuxième rangée, à gauche), Neil Gorsuch, Brett Kavanaugh, Ketanji Brown Jackson, Sonia Sotomayor (première rangée, à gauche), Clarence Thomas, John Roberts, Samuel Alito et Elena Kagan

« Je pense que la question à laquelle vous devez faire face est de savoir pourquoi un seul État devrait décider qui peut être président des États-Unis », a avancé la juge Kagan à l’avocat du Colorado, en évoquant un scénario où la décision du Wisconsin ou du Michigan d’exclure un candidat serait décisive dans l’issue de l’élection présidentielle.

« En d’autres termes, cette question de savoir si un ancien président est disqualifié pour insurrection, cela me semble terriblement national », a-t-elle ajouté.

La Cour suprême s’est saisie rapidement de cette affaire après l’appel de Donald Trump. Compte tenu du nombre d’actions en justice visant à disqualifier l’ancien président dans plusieurs États, elle pourrait rendre sa décision assez rapidement.

En attendant, le nom de Donald Trump apparaîtra sur les bulletins de vote de la primaire républicaine du Colorado, qui se déroulera le 5 mars, date du « Super Tuesday », où les électeurs républicains de 15 États et un territoire iront aux urnes.

Ambiguïté

L’avocat de Donald Trump, Jonathan Mitchell, a présenté deux arguments principaux pour convaincre les juges d’infirmer la décision du Colorado. Le premier est que l’article 3 du 14e amendement ne s’applique tout simplement pas au président. Le deuxième est que la disposition n’est pas auto-exécutoire, c’est-à-dire qu’elle ne peut être appliquée que par une loi distincte du Congrès.

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L’avocat de Donald Trump, Jonathan Mitchell, répond aux question des juges de la Cour suprême dans le cadre de l’audience de jeudi.

La juge Brown a noté que l’article 3 ne comprenait pas le mot « président », même si le texte mentionne spécifiquement d’autres fonctions, dont celles de sénateur et de représentant.

« S’il y a une ambiguïté, pourquoi l’interpréter – comme l’a souligné le juge Kavanaugh – contre la démocratie ? », a-t-elle demandé au cours de l’audition.

Dans sa décision, la Cour suprême du Colorado a fait valoir que la catégorie « officier des États-Unis » inscrite dans l’article 3 inclut le président.

Fait remarquable, la question de savoir si Donald Trump a participé à une insurrection le 6 janvier 2021, jour de l’assaut du Capitole par ses partisans, a été à peine mentionnée lors de l’audition.

La présentation de l’avocat de Donald Trump, Jonathan Mitchell, s’est conclue par sa réponse à l’unique question à laquelle il a dû faire face sur le sujet.

« C’était une émeute », a-t-il répondu. « Ce n’était pas une insurrection. Les évènements étaient honteux, criminels, violents, tout cela, mais ne constituaient pas une insurrection. »

Dès le début de sa présentation, l’avocat du Colorado, Jason Murray, a contredit cette assertion, mais les juges ne voulaient pas en entendre davantage sur le sujet.

« Très beau processus »

La position dans cette affaire des juges les plus conservateurs de la Cour suprême – Clarence Thomas, Samuel Alito et Neil Gorsuch – n’a jamais fait de doute. En fait, activistes, juristes et démocrates, dont le président de la commission judiciaire du Sénat, Dick Durbin, ont appelé le juge Thomas à se récuser, en raison du rôle de sa femme Virginia dans les efforts de Donald Trump pour faire déclarer nul le résultat de l’élection présidentielle de 2020.

La position de la juge progressiste Sonia Sotomayor demeure incertaine. Elle pourrait se joindre à la majorité, si ses deux collègues progressistes le font, ou exprimer sa dissidence. Dissidence qu’elle pourrait axer autour d’une des questions qu’elle a posées lors de l’audition.

« Si la Cour n’est pas disposée à imposer les restrictions du 14e amendement face au chant des sirènes de “laisser les électeurs décider”, qu’en est-il de la probabilité qu’elle le fasse lorsque le 22e amendement sera en jeu ? »

Le 22e amendement est celui qui limite à deux le nombre des mandats présidentiels.

Peu importe la position de la juge Sotomayor, Donald Trump s’est réjoui de l’audition de son appel devant la Cour suprême.

« J’ai trouvé que c’était un très beau processus. J’espère que la démocratie se poursuivra dans ce pays », a-t-il affirmé lors d’une intervention à Mar-a-Lago, en Floride.