(Washington) Les assistants du président Joe Biden veillent à ce qu’il emprunte l’escalier le plus court pour monter à bord d’Air Force One. En conférence de presse, ils ont tôt fait de parler très fort pour mettre fin aux questions, s’inspirant parfois d’une tactique classique des cérémonies de remise de prix : ils font jouer de la musique forte pour signaler la fin de l’évènement. Et oubliez les interviews régulières avec les principaux médias d’information, notamment le traditionnel entretien présidentiel du dimanche du Super Bowl.

Au fil des ans, certains des principaux collaborateurs de Joe Biden ont cessé de laisser « Joe être Joe » pour l’entourer d’un cocon présidentiel destiné à le protéger contre les lapsus et les faux pas physiques.

Tous les présidents sont protégés par les mesures serrées que requiert leur fonction, mais pour Joe Biden, qui, à 81 ans, est la personne la plus âgée de l’histoire à occuper ce poste, la décision est motivée non seulement par la conjoncture, mais aussi par des raisons de stratégie, selon plusieurs personnes au fait de cette dynamique.

L’atmosphère cloîtrée de la Maison-Blanche témoigne de l’inquiétude de certains de ses principaux collaborateurs, qui craignent que M. Biden, qui a toujours été sujet aux gaffes, ne commette une erreur. Ces risques ont été mis au jour de manière frappante au fil des évènements qui ont marqué la semaine dernière.

Biden furieux

Après la publication, jeudi, du rapport d’un procureur spécial sur la gestion par M. Biden de documents classifiés, le président a été furieux de la manière dont il était dépeint, estimant que le rapport était une attaque partisane et personnelle où était évoquée l’une des expériences les plus éprouvantes de sa vie, la mort de son fils Beau.

Ses collaborateurs ont discuté des différentes options possibles, envisageant notamment de laisser passer un jour avant de répondre. Mais finalement, le président a décidé de répondre aux questions des journalistes qui s’étaient rassemblés dans une mêlée désordonnée, plutôt que de tenir une conférence de presse formelle.

Les assistants ont bien tenté de mettre fin à la mêlée de presse à plusieurs reprises. Mais Joe Biden a continué à parler, se défendant vigoureusement d’avoir des problèmes de mémoire.

Il a également commis des erreurs. Alors qu’il se dirigeait vers la porte, le président s’est retourné pour répondre à une question sur la guerre dans la bande de Gaza. Il a critiqué la campagne israélienne contre le Hamas, la qualifiant d’opération « excessive » qui a entraîné des souffrances humaines dans la bande assiégée. Il a décrit ses efforts pour inciter les autres dirigeants de la région à autoriser l’entrée de l’aide humanitaire dans la bande de Gaza. Mais ensuite, il a confondu le Mexique et le Proche-Orient en évoquant les négociations.

Ce n’est pas la seule bévue.

Lors d’évènements organisés dans le cadre de sa campagne la semaine dernière, il a confondu des dirigeants européens avec leurs successeurs actuels, affirmant qu’il avait parlé à François Mitterrand, l’ancien président français mort en 1996, et à Helmut Kohl, l’ancien chancelier allemand mort en 2017.

Dans les moindres détails

Au milieu des critiques et des inquiétudes suscitées par ses propos, certains proches de Joe Biden – dont Jill Biden, la première dame – craignent que la présidence ne l’épuise. Un petit nombre d’assistants proches du couple présidentiel surveillent scrupuleusement l’emploi du temps du président et en règlent les moindres détails, jusqu’à l’itinéraire précis du cortège.

M. Biden a accordé moins d’interviews et donné moins de conférences de presse que tous ses prédécesseurs depuis le président Ronald Reagan, ce qui a suscité des critiques selon lesquelles un président qui avait promis « transparence et vérité » au début de son mandat n’en a pas fait assez pour expliquer ses décisions aux Américains, en particulier en matière de politique étrangère.

PHOTO KENT NISHIMURA, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Joe Biden montant à bord de l’hélicoptère présidentiel Marine One à New York, le 7 février

Même la façon dont M. Biden se rend à l’avion présidentiel fait l’objet d’une gestion minutieuse. Après avoir trébuché sur un sac de sable lors d’une cérémonie de remise des diplômes, l’été dernier, le président a commencé à emprunter une courte volée de marches reliée directement au ventre d’Air Force One, plutôt qu’un grand escalier monté sur roues jusqu’à un point plus élevé de l’avion.

Désormais, un agent des services secrets se trouve en bas de l’escalier lorsqu’il descend de l’avion. (Le prédécesseur immédiat de M. Biden, Donald Trump, âgé de 77 ans, empruntait souvent l’escalier court par mauvais temps.)

Les responsables de la Maison-Blanche n’ont pas précisé quand M. Biden ferait l’objet d’un nouvel examen médical. Le dernier a été effectué il y a près d’un an par Kevin C. O’Connor, le médecin de longue date du président, qui a déclaré que son patient, alors âgé de 80 ans, était « en bonne santé » et « vigoureux ».

Image et apparence

En dehors de la Maison-Blanche, les alliés de Joe Biden s’inquiètent de l’image que projette son apparence, qui est devenue une source d’attaques conservatrices et de mèmes en ligne. Un récent sondage réalisé par NBC News montre que la moitié des électeurs démocrates se disent préoccupés par la santé mentale et physique de M. Biden.

Sa démarche est quelque peu hésitante, ce qui, selon plusieurs personnes proches de la Maison-Blanche, s’explique en partie par son refus de porter une botte orthopédique après avoir subi une fêlure d’un os du pied avant son entrée en fonction.

La Maison-Blanche a rejeté les inquiétudes concernant l’acuité mentale du président.

Andrew Bates, porte-parole de la Maison-Blanche, affirme dans un courriel que M. Biden « parcourt le pays à un rythme soutenu ». Il ajoute que M. Biden utilisait « des interviews, des discours et des évènements numériques innovants » pour faire passer son message.

PHOTO KENNY HOLSTON, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Le président américain s’adressant aux journalistes à bord d’Air Force One, lors d’un ravitaillement en Allemagne, le 18 octobre dernier. Joe Biden avait rencontré ce jour-là le premier ministre Benyamin Nétanyahou en Israël.

Les démocrates qui ont passé du temps avec M. Biden dans des contextes moins exposés, notamment lors de collectes de fonds, de réunions privées et de tables rondes après des évènements, affirment qu’il reste vif, voire pugnace.

Caractérisation « injuste »

Jay Jacobs, président du Parti démocrate de l’État de New York, affirme que M. Biden a parlé sans notes lors d’une récente collecte de fonds, abordant toute une série de questions, notamment la politique étrangère et les enjeux de l’élection. Après l’évènement, le président a posé à M. Jacobs des questions détaillées sur l’élection partielle visant à pourvoir un siège à la Chambre des représentants dans la troisième circonscription de l’État de New York.

La caractérisation que je vois actuellement est tout simplement injuste. […] Oui, sa voix peut paraître plus âgée. Cela ne fait aucun doute. Mais je peux vous dire, d’après les conversations personnelles que j’ai eues avec lui, qu’il s’investissait à fond.

Jay Jacobs, président du Parti démocrate de l’État de New York, à propos de Joe Biden

Les alliés de Joe Biden affirment également que les réalisations législatives du président, qu’il s’agisse d’un projet de loi bipartisan sur les infrastructures ou d’une mesure visant à accroître la production de semi-conducteurs aux États-Unis, sont la preuve non seulement de son acuité mentale, mais aussi de sa capacité à négocier dans des moments cruciaux – et non scénarisés.

Les républicains auraient aimé sortir de ces réunions en disant : « Nous aimerions vraiment arriver à quelque chose, mais malheureusement, vous savez, ce type ne se souvient de rien », dit Jesse Lee, qui a travaillé dans le domaine de la communication au Conseil économique national de la Maison-Blanche jusqu’en novembre. « Ce n’est pas comme s’il y avait un cône de silence sacré qui, vous savez, n’est jamais rompu, hormis dans ce cas. »

Cet article a été publié à l’origine dans le New York Times.

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