(Levittown, New York) Première ville de banlieue du monde, Levittown continue à présenter l’image d’un certain rêve américain avec ses petites maisons alignées le long de rues tranquilles et entourées de clôtures blanches.

Mais, à en croire Denise Beery, ce rêve américain, fabriqué à Long Island par la société Levitt après la Seconde Guerre mondiale, est désormais menacé par l’immigration illégale. L’enseignante à la retraite fait référence à tous ces migrants qui réclament l’asile aux États-Unis après y être entrés illégalement, que ce soit par la frontière sud ou par celle du nord.

« Nous sommes pris en sandwich entre le Canada et le Mexique », confie-t-elle après avoir participé par anticipation à un scrutin au possible retentissement national à l’hôtel de ville de Levittown, à environ 50 km à l’est de New York, où plus de 150 000 migrants sont arrivés depuis l’été dernier.

PHOTO RICHARD HÉTU, COLLABORATION SPÉCIALE

Denise Beery

« Chaque État, chaque comté, chaque ville est devenu une zone frontalière », ajoute-t-elle.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Son vote comptera à l’occasion d’une élection spéciale qui se déroulera mardi dans une circonscription qui englobe des parties de Long Island et de l’arrondissement de Queens, à New York. Le scrutin a pour but de pourvoir le siège laissé vacant à la Chambre des représentants par George Santos, ce fabulateur républicain qui a démissionné après avoir été sévèrement critiqué par la commission d’éthique de la Chambre pour des comportements qui lui avaient déjà valu d’être inculpé par la justice américaine.

Un « baromètre national »

L’importance de cette élection ne tient pas seulement à son impact sur la majorité républicaine à la Chambre, qui est déjà ténue à l’extrême. Le verdict des électeurs de la 3e circonscription de l’État de New York pourrait également présager celui de novembre prochain, selon Larry Levy, doyen du Centre national d’études sur la banlieue de l’Université Hofstra, à Long Island.

« Le terme est peut-être galvaudé, mais je pense qu’il est juste de dire qu’il s’agit d’un baromètre national », dit cet observateur aguerri.

L’élection du 13 février porte en réalité sur le 5 novembre et la manière dont quelques circonscriptions électorales de banlieue peuvent déterminer qui contrôlera [la majorité] à la Chambre des représentants.

Larry Levy, doyen du Centre national d’études sur la banlieue de l’Université Hofstra, à Long Island

« Dans tout le pays, les stratèges, les candidats et les donateurs des deux partis suivent ce scrutin pour savoir quelles stratégies, quelles tactiques et quels messages fonctionnent ou ne fonctionnent pas », poursuit le doyen.

À en juger par les commentaires de tous les républicains rencontrés par La Presse à Levittown, la crise des migrants sera un enjeu décisif. Enjeu qui risque également de peser sur l’issue de l’élection présidentielle, Donald Trump n’ayant de cesse de dénoncer la façon dont Joe Biden gère la frontière entre les États-Unis et le Mexique, où plus de 6 millions d’entrées illégales ont été recensées depuis 2021.

« Les migrants enfreignent nos lois », affirme Chris, un vétéran de l’armée qui préfère taire son nom de famille, après avoir voté par anticipation. « Ils arrivent ici en disant : ‟Nourrissez-moi. » Ce n’est pas correct. Mes parents et tous ceux que je connais sont arrivés de la bonne manière. L’immigration est une bonne chose pour notre pays. Mais il faut le faire de la bonne manière. »

Perception contre réalité

L’ironie veut que le comté de Nassau, dont fait partie Levittown, et le comté voisin, Suffolk, n’accueillent aucun migrant. Mais des électeurs républicains de Long Island, de même que certains démocrates et indépendants, sont influencés par la façon dont les médias et les réseaux sociaux décrivent la crise des migrants qui se déroule à New York.

Et ils se sont indignés récemment en voyant la photo virale de Jhoan Boada, un jeune migrant vénézuélien de 22 ans, brandissant deux doigts d’honneur après sa libération sans caution par le procureur de Manhattan Alvin Bragg. Boada faisait partie d’un groupe de migrants arrêtés pour avoir roué deux policiers de coups de pied à Times Square, attaque filmée par une caméra de surveillance.

« La vidéo et le procureur renforcent les inquiétudes des banlieusards face à ce qu’ils considèrent comme le chaos de la ville qui pourrait s’installer dans leur quartier », commente Larry Levy, de l’Université Hofstra. « C’est peu probable, mais en politique, la perception peut être beaucoup plus puissante que la réalité. »

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La candidate républicaine de l’élection spéciale, Mazi Melesa Pilip, vendredi, à Massapequa

D’autres enjeux pèseront sur le verdict des électeurs, dont l’accès à l’avortement, le contrôle des armes à feu et la guerre entre Israël et le Hamas. La candidate républicaine, Mazi Melesa Pilip, est une immigrante israélienne de 44 ans, née en Éthiopie, qui a servi dans l’armée israélienne. Son adversaire démocrate, Tom Suozzi, a déjà représenté la circonscription au Congrès avant de briguer, en vain, le poste de gouverneur de l’État de New York.

La contre-attaque démocrate

Ces derniers jours, M. Suozzi a tenté de contrer les attaques de son adversaire sur l’immigration illégale en la liant au refus des républicains du Congrès d’accepter un projet de loi bipartisan destiné à sécuriser la frontière sud.

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Le candidat démocrate de l’élection spéciale, Tom Suozzi, dimanche, à Plainview

« Malheureusement, mon adversaire s’est ralliée à l’extrémisme », a-t-il dit au début du seul débat entre les deux candidats, jeudi dernier. « Elle dit qu’elle est préoccupée par la frontière, mais elle s’oppose à la solution bipartisane qui permettrait de fermer la frontière. »

John Shannon, homme d’affaires de Levittown, a évoqué le même blocage républicain pour justifier son appui au candidat démocrate.

Les républicains ne veulent pas régler la crise à la frontière sud. Ils veulent qu’elle se prolonge pour donner une mauvaise image de Joe Biden. De toute façon, de quoi pourraient-ils parler s’ils n’avaient pas cet enjeu ?

John Shannon, électeur démocrate

Les plus récents sondages donnent une légère avance au candidat démocrate. Mais les républicains de Long Island tablent sur une machine bien rodée pour faire sortir leur vote. Une défaite démocrate interromprait une série quasi ininterrompue de succès lors d’élections spéciales.

Elle s’ajouterait aux malheurs récents de Joe Biden, qui a battu Donald Trump par 8 points de pourcentage dans la 3e circonscription de New York en 2020. Or, si de nombreux républicains locaux continuent à avoir des réserves à l’endroit de l’ancien président, ce n’est rien en comparaison de ce qu’ils pensent aujourd’hui du président actuel.

PHOTO RICHARD HÉTU, COLLABORATION SPÉCIALE

Rob Schimenz

« L’un de mes amis est un démocrate de toujours », raconte Rob Schimenz, qui a enseigné dans une école secondaire de Queens pendant des années. « Je lui ai dit : ‟Comment peux-tu encore soutenir Biden ? » Ce type est atteint de démence. Et il m’a répondu qu’il n’était pas atteint de démence. Et j’ai dit : ‟Eh bien, vous êtes deux dans ce cas. Parce que si tu ne le penses pas, tu es fou. » »