(New York) La décision du juge Arthur Engoron dans le procès de Donald Trump pour fraudes à New York devait tomber d’une minute à l’autre. On aurait pu penser qu’aucun autre sujet ne comptait alors pour l’ancien président et les membres de son entourage. C’était ignorer l’importance de la question de l’avortement.

Voici ce qui s’est passé. Peu avant l’annonce de la décision du juge Engoron, le New York Times a publié une information inédite : Donald Trump a exprimé en privé son appui pour une interdiction de l’avortement après 16 semaines de grossesse comme règle minimale partout aux États-Unis. Le journal a précisé que le candidat présidentiel attendait la fin des primaires républicaines pour en parler en public, de peur de se mettre à dos les militants antiavortement les plus ardents de son parti.

Pourquoi 16 semaines plutôt que 15, le nombre le plus souvent suggéré par les partisans d’une interdiction nationale de l’avortement ? En guise d’explication, le Times cite une déclaration de Donald Trump à l’un des alliés avec lequel il a abordé le sujet : « Tu sais ce que j’aime à propos de 16 ? C’est un nombre rond. C’est quatre mois. »

« Fausse nouvelle ! », a fulminé une porte-parole de l’équipe de campagne de Donald Trump, dès après la publication en ligne de l’article du Times. « Comme l’a déclaré le président Trump, il s’assoira avec les deux parties et négociera un accord qui satisfera tout le monde. »

Les démocrates sautent sur l’occasion

Qu’à cela ne tienne, Joe Biden a sauté sur l’occasion pour attaquer son adversaire probable sur le thème préféré des démocrates. Dans une déclaration écrite, il a notamment rappelé les retombées de l’abrogation de l’arrêt Roe c. Wade, y compris l’adoption de lois limitant ou abolissant l’accès à l’avortement dans plusieurs États conservateurs. Abrogation rendue possible par les trois juges nommés par le 45e président à la Cour suprême des États-Unis au cours de son mandat.

Le choix est très simple. Kamala [Harris] et moi rétablirons l’arrêt Roe c. Wade et ferons en sorte qu’il redevienne la loi du pays. Donald Trump interdira l’avortement dans tout le pays.

Le président Joe Biden

Le thème de l’avortement a déjà souri aux démocrates dans des scrutins tenus dans plusieurs États ou circonscriptions depuis l’annulation du droit constitutionnel à l’avortement, le 24 juin 2022. La semaine dernière, par exemple, il a contribué à la victoire nette du candidat démocrate Tom Suozzi lors d’une élection complémentaire organisée dans la 3circonscription de l’État de New York pour pourvoir le siège laissé vacant par l’ancien représentant républicain George Santos.

PHOTO ANNA WATTS, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

La candidat démocrate Tom Suozzi, mardi dernier

Tout au long de la campagne, Tom Suozzi et ses alliés démocrates ont accusé la candidate républicaine, Mazi Pilip, d’être en faveur d’une interdiction nationale de l’avortement, ce dont elle s’est défendue. Le fait qu’elle ait approuvé l’abrogation de l’arrêt Roe c. Wade et revendiqué son appartenance au mouvement « pro-vie » ne l’a sans doute pas aidée à dissiper les craintes.

Tom Suozzi a battu Mazi Pilip par 8 points de pourcentage à l’issue d’une campagne où ce démocrate centriste a réussi à neutraliser la question de l’immigration illégale, thème privilégié des républicains.

Un discours confus ou contradictoire

L’avortement représente un casse-tête aussi important pour Donald Trump qu’il l’a été pour Mazi Pilip. Son discours confus ou contradictoire sur le sujet en témoigne. En janvier 2023, il a imputé à la « question de l’avortement » les résultats décevants des républicains lors des élections de mi-mandat. En mai de la même année, il a exprimé sa fierté d’avoir « tué Roe c. Wade ». Et, en octobre dernier, il a qualifié de « terrible » la loi de la Floride interdisant l’avortement après six semaines de grossesse.

Dans ce contexte, une proposition d’interdire l’avortement après 16 semaines constituerait une rare prise de position claire de Donald Trump sur une question qui désavantage son parti.

Selon le Times, il accompagnerait cette interdiction par des exceptions en cas de viol, d’inceste ou encore de danger pour la vie de la mère, le tout pour convaincre une partie de l’électorat de sa modération sur le sujet.

Mais l’idée même d’une interdiction nationale de l’avortement est explosive, « fausse nouvelle » ou pas. Et les démocrates ne se priveront pas de l’exploiter pour mobiliser une partie importante de l’électorat, y compris les femmes et les jeunes. Cette mobilisation pourrait s’avérer cruciale dans les États clés comme le Michigan, le Wisconsin et la Pennsylvanie, où l’avortement est légal jusqu’à la viabilité du fœtus, soit entre les 24e et 26semaines de grossesse, ainsi que dans les circonscriptions pivots de l’État de New York et de la Californie, où les démocrates ont perdu de précieux sièges en 2022.

Les militants pro-choix, eux, ont déjà commencé à dénoncer les exceptions proposées par Donald Trump. Lors d’une conférence téléphonique organisée après la publication de l’article du Times, Mini Timmaraju, présidente d’une organisation pro-choix, a soutenu que ces exceptions « sont conçues pour ne pas fonctionner, et il est impossible de les mettre en œuvre dans ces États incroyablement draconiens où les interdictions sont extrêmes ».

« Nous allons lui faire payer chaque centimètre de cette crise qu’il a créée », a-t-elle ajouté en parlant de l’ancien président.

Cette « crise », Joe et Jill Biden entendent l’illustrer de façon spéciale lors du discours sur l’état de l’Union, le 7 mars. Figurera parmi leurs invités de marque Kate Cox, cette mère de Dallas qui a lancé une action en justice pour pouvoir mettre fin à une grossesse risquée. Après que la Cour suprême du Texas a suspendu une décision lui permettant d’avorter, elle a dû quitter son État pour obtenir un avortement d’urgence.

Ce n’était pas une fausse nouvelle, malheureusement.