Les juges de la Cour suprême américaine ont statué lundi : les États n’ont pas l’autorité pour disqualifier des candidats à la présidence en vertu de la Constitution. Donald Trump sera donc bel et bien sur les bulletins de vote de la primaire républicaine au Colorado, ce mardi. Explications.

Que dit l’arrêt ?

Les juges de la Cour suprême ont annulé une décision de la plus haute cour du Colorado, qui concluait que Donald Trump s’était livré à un acte d’insurrection le 6 janvier 2021 et ordonnait de retirer son nom des bulletins de vote de la primaire dans l’État.

La Cour suprême ne s’est pas prononcée sur le comportement de l’ancien président, mais seulement sur l’étendue du pouvoir des États pour faire appliquer l’article 3 du 14e amendement de la Constitution. Cette disposition disqualifie de certains postes des personnes s’étant engagées dans une « insurrection ou une rébellion » contre le gouvernement américain après avoir prêté serment à la Constitution.

« Nous concluons que les États peuvent disqualifier des personnes occupant ou tentant d’exercer des fonctions publiques d’un État. Mais les États n’ont aucun pouvoir en vertu de la Constitution pour appliquer l’article 3 en ce qui concerne les fonctions fédérales, en particulier la présidence », peut-on lire dans la décision mise en ligne lundi matin, la veille de primaires dans 15 États.

Comment cette question s’est-elle rendue en Cour suprême ?

Quatre partisans républicains et deux citoyens non affiliés ont lancé une requête au Colorado pour demander la disqualification de Donald Trump comme candidat à la présidence. Au cœur de l’argumentaire : l’article 3 du 14e amendement, adopté en 1868 pour assurer la loyauté des élus au gouvernement américain dans le contexte de l’après-guerre civile.

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La Cour suprême des États-Unis

Dans une décision divisée, la Cour suprême du Colorado a conclu à l’inéligibilité de Donald Trump, pour cause d’insurrection, et a ordonné au secrétaire d’État de ne pas inscrire le nom de M. Trump sur les bulletins de vote de la primaire présidentielle de l’État.

Donald Trump a contesté l’arrêt et la Cour suprême a accepté d’entendre la cause.

Comment interpréter la décision de lundi ?

« Les juges étaient préoccupés que chaque État puisse décider par lui-même si Trump allait ou non être sur le bulletin de vote, ce qui aurait causé des problèmes », explique Stephen Wermiel, professeur à l’American University Washington College of Law. Ce qui aurait créé tout un casse-tête, comme l’indiquent les juges dans leur décision.

La conclusion n’est « pas surprenante », ajoute M. Wermiel.

Même s’il n’est pas d’accord avec tous les arguments légaux avancés par les juges, le professeur à l’University of Denver Sturm College of Law, Ian Farrell, juge la décision « intelligente politiquement », puisqu’elle évite de statuer sur la question de l’insurrection. « En faisant ça, j’imagine que les juges espèrent qu’ils ne se feront pas reprocher de s’être immiscés dans le politique, note-t-il. Et en même temps, ils résolvent la question de l’incertitude du nom sur les bulletins de vote dans certains États. »

Y aura-t-il un impact sur une autre cause ?

Il ne devrait pas y avoir d’impact, notamment sur la décision très attendue concernant l’immunité présidentielle. La Cour suprême doit se pencher sur cette cause dans laquelle Donald Trump conteste les conclusions des juges fédéraux, qui ont tranché qu’il pouvait être poursuivi pour avoir tenté de rester au pouvoir après avoir perdu l’élection.

Dans un point de presse diffusé lundi à CNN, l’ancien président a rapidement réagi à la décision de la Cour suprême, s’en disant ravi. Il a ensuite dénoncé les jugements remettant en question son immunité, affirmant que leur confirmation rendrait le travail présidentiel plus difficile.

Que révèlent les bémols apportés par quatre juges ?

Si les neuf juges s’entendent globalement sur la décision, les quatre magistrates de la Cour suprême estiment que leurs collègues vont trop loin en affirmant que seul le Congrès a le pouvoir de disqualifier un candidat à une fonction fédérale.

« Je pense que ça démontre la frustration des trois juges libéraux sur jusqu’où la majorité conservatrice est prête à aller, commente M. Wermiel. Ils n’avaient pas besoin d’aller aussi loin. »

Pourquoi autant de cas politiques se jouent-ils devant les tribunaux ?

Il semble y avoir une tendance à recourir aux tribunaux pour des questions à portée beaucoup plus large qu’avant, note M. Wermiel. « Je pense que c’est en partie parce que le Congrès est profondément divisé, que c’est difficile de prendre quelque décision que ce soit », analyse-t-il.

Les États ayant chacun leurs particularités, il n’est pas étonnant que la cause sur l’article du 14e amendement ait d’abord été testée au Colorado, où la latitude pour juger ce genre de question est plus large que dans d’autres États, explique M. Farrell. Des requêtes avaient été lancées dans une trentaine d’États, mais ont abouti seulement au Colorado, au Maine et en Illinois ; elles sont maintenant toutes rejetées.

Il croit aussi que si des clauses jamais utilisées auparavant sont maintenant débattues, c’est parce que les temps sont sans précédent. « Les systèmes politiques et juridiques ont été poussés à trouver des réponses peu courantes », souligne-t-il.