Aux États-Unis, chaque État a ses particularités et ses intérêts, qu’il souhaiterait voir mis de l’avant sur la scène fédérale. C’est un peu la raison de la popularité du « super mardi »… même si la stratégie ne fonctionne pas toujours.

« Disons que le but et le résultat ne concordent pas vraiment », dit avec un sourire dans la voix Rebecca Eissler, professeure agrégée au département de science politique de l’Université d’État de San Francisco. Elle souligne qu’aujourd’hui, le super mardi ressemble davantage à un « effort national », puisque c’est le jour où le plus d’États votent au même moment, tant du côté démocrate que républicain, pour désigner le candidat officiel de chaque parti à l’élection présidentielle.

La possibilité de se démarquer et d’avoir un poids particulier est moindre, sauf peut-être pour des États pivots.

Ça force les aspirants candidats à être très stratégiques. Ils doivent choisir dans quels États ils vont dépenser et où ils vont mener une réelle campagne, parce que ce n’est pas possible d’être à tous les endroits en même temps.

Rebecca Eissler, professeure agrégée au département de science politique de l’Université d’État de San Francisco

Tradition

La tradition du super mardi date des années 1980. Les démocrates des États du Sud ne reconnaissaient pas leurs valeurs plus conservatrices dans les discours d’aspirants candidats très libéraux, favorisés dans d’autres régions.

L’Alabama, le Mississippi et la Géorgie ont donc choisi de tenir des primaires le premier mardi où ça devenait possible un peu partout au pays, après les États qui ont la priorité, afin d’influencer la course. Avant que des aspirants candidats se désistent en cours de route, faute d’appuis suffisants.

« Ça n’a pas vraiment fonctionné et après cela, la nature plus sudiste du super mardi a diminué, explique Barbara Norrander, professeure émérite à l’Université de l’Arizona et auteure d’un livre sur les primaires. Maintenant, on a davantage d’États de l’Ouest ou du Midwest qui se sont joints au super mardi. »

Et peu importe les résultats, les partis dans chaque État continuent de regarder le super mardi comme un jalon important. « Il y a une peur de perdre de l’influence », illustre Mme Eissler. Cette année, 15 États votent le 5 mars.

Courses multiples

Aux États-Unis, les élections ne portent pas seulement sur le choix d’un président : selon les circonscriptions, les électeurs peuvent être appelés à voter pour les membres du Congrès, mais aussi pour des juges, des administrateurs scolaires, des candidats locaux ou à se prononcer sur des questions référendaires… Les primaires reflètent aussi cette réalité, et d’autres courses à l’investiture ont lieu au niveau local en même temps que celles pour les candidats présidentiels. Les partis dans chaque État doivent donc en tenir compte pour déterminer la date des primaires.

La Californie, par exemple, organisait ses primaires en juin, mais a choisi le super mardi cette année. « Faire une primaire présidentielle en mars et une autre en juin est très coûteux, note Mme Norrander. Donc il a été décidé que les années d’élection présidentielle, toutes les primaires seraient en mars et les années où il n’y a pas de présidentielle, les votes auraient lieu en juin. »

Le choix de la date force les différentes campagnes locales à s’organiser autour des primaires. « Les États doivent trouver l’équilibre entre l’avantage de tenir la course plus tôt pour le choix du candidat à la présidence et le fardeau que ça inflige aux candidats locaux pour l’organisation de leur campagne, explique Casey Dominguez, professeure à l’Université de San Diego. Quand on y pense vraiment, c’est plus logique pour les courses locales de tenir leurs primaires plus tard au printemps ou en été. »

Comportement des électeurs

Cette année, les analystes s’intéressent d’ailleurs particulièrement aux autres courses, pour des candidatures de sénateurs ou de représentants, par exemple. À moins d’un revirement imprévu, il n’y a pas de suspense autour des candidatures de Joe Biden chez les démocrates et de Donald Trump du côté des républicains.

PHOTO EVAN VUCCI, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Sauf surprise, le président Joe Biden devrait être le candidat démocrate lors de la prochaine présidentielle.

La participation de différents groupes d’électeurs ou l’ampleur du soutien pour un aspirant candidat peuvent être révélatrices du comportement futur lors de l’élection générale de novembre.

Il y a plein d’États différents qui se rendent aux urnes, donc on peut bien déchiffrer le niveau de soutien national.

Jason Opal, professeur au département d’histoire de l’Université McGill

Le taux de participation aux différentes primaires reste généralement bas. Selon le Bipartisan Policy Center, quelque 80 % des électeurs admissibles ne votent pas lors des primaires – les règles varient selon les États, mais l’appartenance au parti peut être exigée afin de participer à ce scrutin pour choisir le représentant d’une formation politique. « Malgré tout, je pense qu’en général, les Américains ne voudraient pas d’un processus où ils seraient moins consultés, estime Mme Eissler. Après tout, les primaires sont nées parce que les gens n’avaient pas leur mot à dire dans les nominations. »