L’approche du Logement d’abord utilisée à Houston n’est pas une invention locale, mais plutôt une stratégie encouragée depuis des années, notamment par le gouvernement fédéral américain, qui en fait une condition importante pour obtenir des subventions pour lutter contre l’itinérance. La ville texane a cependant obtenu, par la manière dont elle a l’a mise en œuvre, des résultats susceptibles de faire des jaloux.

Des priorités claires

Mike Nichols, qui chapeaute la Coalition pour les sans-abri de Houston, note que ses dirigeants ont établi d’emblée il y a une dizaine d’années que l’accès rapide au logement devait être une priorité absolue pour venir à bout de l’itinérance dans la ville. Les organisations non gouvernementales qui étaient déjà actives dans le secteur se sont fait dire qu’elles étaient libres de continuer à travailler en silo sans y adhérer tout en étant prévenues que l’aide financière fédérale ne leur serait sans doute pas accessible dans un tel contexte. Le noyau initial de 30 à 40 organisations a rapidement crû pour atteindre aujourd’hui une centaine.

Une harmonisation difficile

La mise en commun de ressources ne s’est pas faite sans heurt. Kelly Young, qui chapeaute Career and Recovery Resources, une organisation assurant notamment le soutien de sans-abri ayant obtenu un logement, note que les premières années ont été difficiles. « Tout le monde se regardait un peu de travers. Mais les gens ont fini par convenir que l’approche utilisée était la plus juste et la plus équitable », relève-t-elle. La coalition a encouragé de son côté les organisations locales à se spécialiser plutôt que de tenter d’offrir à elles seules l’ensemble des services proposés. Trois ou quatre organisations différentes peuvent ainsi se relayer pour évaluer le cas d’un sans-abri, l’aider à s’installer dans un logement et lui fournir par la suite l’aide dont il a besoin.

Une évaluation uniforme

La coalition, tout en optant pour l’approche du Logement d’abord, a défini que les personnes les plus vulnérables – qui « risquent de mourir dans la rue » – sont celles qui doivent hériter en priorité d’un logement à long terme. Il s’agit généralement de personnes ayant vécu dans la rue pendant des années qui souffrent d’un handicap physique ou mental. Pour les identifier, les responsables locaux ont élaboré une grille d’analyse qui est devenue la norme. Les données sont consignées à l’aide d’un logiciel permettant d’accéder à distance au profil de la personne considérée et à l’historique des interventions dont elle a bénéficié. Les organisations locales ne peuvent « choisir » les itinérants les plus susceptibles d’être réinsérés pour se donner une bonne image, une pratique qui n’était pas rare par le passé.

L’aide du secteur privé

La coalition compte sur l’appui de nombreux propriétaires privés qui acceptent de louer leurs appartements aux itinérants. James Gonzalez, qui est chargé du dossier au sein de la coalition, note que les propriétaires se voient généralement proposer des loyers en phase avec le marché. Pour un appartement d’une chambre, il est actuellement d’environ 1500 $. Les sans-abri pris en charge doivent normalement verser 30 % de leurs revenus mensuels, le reste étant financé par Washington par l’entremise d’un programme d’aide au logement. La coalition, dit M. Gonzalez, fait aussi valoir que chacun de ses « clients » est suivi par un agent de liaison qui peut intervenir en cas de problème. « L’établissement d’un lien de confiance avec les propriétaires est la clé », souligne-t-il.

Une population empathique

Mike Nichols note que les résultats obtenus à Houston démontrent que l’approche du Logement d’abord, introduite en premier lieu à New York au début des années 1990, fonctionne à grande échelle. Près de 90 % des personnes en ayant profité ont toujours un toit au-dessus de la tête deux ans plus tard, note l’administrateur, faisant écho à des études à ce sujet. Plusieurs villes ayant tenté de suivre l’approche, avec plus ou moins de fidélité, ont néanmoins obtenu des résultats moins concluants, note M. Nichols, qui attribue une partie du succès obtenu à Houston à l’empathie de la population locale. Les catastrophes naturelles qui ont frappé la ville, dont l’ouragan Harvey en 2018, font en sorte que « personne ne se sent à l’abri du fait d’être temporairement sans toit », dit-il.

Des expériences au Canada

Plusieurs villes canadiennes, dont Montréal, ont expérimenté l’approche du Logement d’abord de 2009 à 2013 dans le cadre d’un projet pilote mené par la Commission de la santé mentale du Canada avec des fonds fédéraux. L’organisation a conclu que le programme avait démontré son efficacité dans la métropole et « diminuerait fortement » le nombre de personnes en situation d’itinérance chronique advenant son application à grande échelle. Le rapport relevait par ailleurs que l’approche suscitait des coûts « relativement faibles ». L’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux a conclu pour sa part en 2014 que l’approche « devrait être envisagée » en incluant des modalités pour répondre aux besoins variés des personnes ciblées. Aucun programme à grande échelle n’a cependant été mis en œuvre par la suite.