La viande de baleine est de retour dans les assiettes islandaises, au grand dam des écologistes. Cette année, 38 de ces mammifères marins ont été harponnés, pour finir sur le marché local sous forme de steaks, de sushis, de hamburgers. Les touristes en visite dans la capitale, Reykjavik, sont nombreux à se laisser tenter. Les Islandais, eux, semblent plus rétifs.

Commander un steak dans un restaurant de Reykjavik peut facilement mener le touriste nonchalant en territoire gastronomique inconnu.

Plusieurs établissements de la petite ville nordique de 300 000 habitants ont en effet intégré à leur menu un mets inusité sous d'autres latitudes - la viande de baleine - au grand dam des écologistes de la planète.

 

C'est le cas notamment de Hereford, un commerce de la rue principale qui proposait la semaine dernière à ses clients un «steak au poivre de baleine assorti de légumes frits et de pommes de terre au four» ainsi qu'une entrée pour une quarantaine de dollars. D'autres chefs apprêtent cette viande bien particulière pour en faire des hamburgers ou encore des sushis.

Retour de la tradition

Le retour de ce mets traditionnel, qui avait disparu des assiettes islandaises au début des années 80 lorsqu'un moratoire international sur la pêche à la baleine était entré en vigueur, découle d'un récent changement de cap des autorités locales.

Le ministère des Pêcheries a autorisé en 2006 la reprise de la pêche commerciale, permettant la prise d'une quarantaine de baleines de Minke et d'une dizaine de rorquals communs, emboîtant le pas au Japon et à la Norvège.

Bien qu'une vingtaine de pays aient émis des protestations diplomatiques formelles auprès de l'Islande à l'époque, l'expérience a été reprise l'an dernier et cette année, la viande étant écoulée sur le marché domestique.

Gunnar Bergmann Jonsson est le président de la seule compagnie de l'île aujourd'hui officiellement licenciée pour pêcher la baleine.

«Nous avions le droit de prendre 40 baleines de Minke mais nous n'en avons capturé que 38. Je pense que nous allons en rester là pour cette année. La météo n'était pas bonne pour la pêche en septembre. Et nous n'avions qu'un bateau en activité plutôt que deux... Toute la viande a déjà été vendue», relate-t-il en entrevue.

Le jeune entrepreneur de 30 ans espère que sa compagnie pourra un jour exporter une part de sa production vers le Japon. Et obtenir, grâce à ce marché élargi, des quotas de pêche plus importants. «On espérait que ça allait arriver cet été, mais ce ne fut pas le cas», souligne M. Jonsson, qui multiplie les initiatives pour rendre le produit attirant pour les jeunes générations de l'île.

Il a notamment conçu des sachets de viande marinée qui peuvent servir aux barbecues. Et fait circuler des recettes pour apprêter la chair de baleine, qui est assimilable, selon lui, à du boeuf. Mais trois fois moins cher.

La tâche n'est pas simple. Bien qu'ils soient rarement choqués par la pêche à la baleine, la plupart des Islandais rencontrés dans les rues de Reykjavik ne se montrent guère inspirés par la perspective d'en manger.

« Trop intellligentes «

«J'en mangeais avant. Maintenant, je ne le fais plus. Elles sont trop intelligentes pour être mangées», souligne Bjossy, un charpentier de 45 ans.

Trop intelligentes? «J'étais dans un petit bateau dans une baie près de Reykjavik il y a quelques années lorsque je suis tombé face à face avec l'une d'elles. J'ai pu plonger mon regard dans le sien et j'ai vu qu'elle était intelligente», explique-t-il.

«Moi, je n'aime pas le goût», déclare Sigrun Siqurbjornsdottir, une résidante de la capitale d'une quarantaine d'années.

«J'ai goûté une fois et j'ai trouvé que ça ne ressemblait pas du tout à du boeuf. C'était très mauvais», confie Orn Sigurgeirsson, un homme de 34 ans, en faisant une grimace. Il s'inquiète de l'impact de la pêche sur l'image du pays.

Les touristes, eux, ne lèvent pas nécessairement le nez sur la possibilité de goûter le singulier produit. «Il y a en a beaucoup qui veulent le faire», souligne une serveuse dans un restaurant du centre-ville.

Ces visiteurs ne sont pas toujours conscients de l'impact de leur geste, déplore Eva Maria Porarinsdottir, responsable du marketing pour une compagnie islandaise offrant des croisières aux baleines.

«Si chaque touriste goûte de la viande de baleine lors de son passage dans l'île, ça finit par représenter beaucoup de viande. Et ça finit par constituer un marché», souligne Mme Porarinsdottir, qui juge cette pêche contre-productive pour l'économie islandaise.

Les activités touristiques générées par l'observation des baleines supplantent largement celles qui viennent de la pêche, souligne la porte-parole. «Il y a assez de baleines pour contenter tout le monde», rétorque M. Jonsson.