Les «neuf de Tarnac» sont-ils de dangereux terroristes qui pensaient, en perturbant le trafic ferroviaire, précipiter un chaos «régénérateur» pour la société française? Ou de jeunes pacifistes au discours mordant, victimes d'un dérapage policier?

L'affaire commence il y a deux semaines lorsque des barres de fer sont posées sur les caténaires de quatre lignes de trains à grande vitesse (TGV), dans des régions isolées. Bien qu'inoffensive pour les passagers, l'initiative paralyse des pans importants du réseau, compromettant les déplacements de milliers de personnes.

 

Par crainte d'une récidive, 4000 policiers et cheminots de la Société nationale des chemins de fer français (SNCF) sont mobilisés pour surveiller 30 000 kilomètres de rail.

Les autorités policières lancent parallèlement une vaste enquête pour découvrir les auteurs du coup. Rapidement, les soupçons convergent vers un groupe d'étudiants bardés de diplômes qui vivent, retirés, en Corrèze.

Voulant rompre avec la société capitaliste et l'hyperconsommation, ils ont acheté une ferme quelques années plus tôt dans laquelle ils tentent de jeter les bases d'un nouveau mode de vie.

La population locale voit d'un bon oeil le groupe, qui a repris le magasin général du village voisin. Des soirées thématiques, à teneur culturelle, sont organisées par les militants, qui carburent notamment aux idées du mouvement situationniste de Guy Debord.

Mercredi, plus d'une centaine de policiers des escouades antiterroristes convergent vers la ferme dans le cadre d'une vaste opération. La moitié des 20 personnes arrêtées sont rapidement relâchées.

Les autres sont placées en garde à vue et interrogées pendant plusieurs jours. Et finalement mis en examen pour «association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste». Un «noyau dur» de cinq personnes doit aussi répondre de «dégradation de lignes ferroviaires» dans une perspective «d'action terroriste».

Les enquêteurs évoquent la présence sur l'un des sites touchés de la SNCF de deux suspects. Ils insistent aussi sur la découverte d'un manifeste paru en 2007, intitulé L'insurrection qui vient, dans lequel un mystérieux «comité invisible» dresse un programme d'inspiration révolutionnaire.

Ses auteurs évoquent «l'appropriation locale du pouvoir par le peuple, le blocage physique de l'économie et l'anéantissement des forces de police», s'interrogeant au passage sur la manière de rendre une ligne de TGV inutilisable.

Les enquêteurs voient, derrière ces mots, la plume de Julien Coupat, un étudiant au doctorat de 34 ans. Déjà diplômé d'une grande école de commerce, il est issu comme la plupart de ses présumés complices d'une famille aisée. L'intellectuel se décrit, au dire de son père, comme un «communiste du temps de la Commune à Paris», en référence à une période insurrectionnelle de l'histoire française.

Des idées radicales

Aux yeux de la police, qui a saisi des outils jugés compromettants, l'affaire est entendue. Le groupe a voulu mettre en oeuvre ses idées radicales. Plusieurs de ses membres sont d'ailleurs déjà fichés à la police en raison de leur participation à différentes manifestations, notamment contre un projet... de fichage policier.

La ministre de l'Intérieur Michèle Alliot-Marie, qui décrit les membres du groupe comme les dangereux représentants d'une «mouvance anarcho-autonome», se félicite de l'efficacité des forces de l'ordre.

Le procureur responsable du dossier, Jean-Claude Marin, dénonce la «philosophie d'insurrection» des accusés et leur reproche de vouloir «atteindre l'organisation de l'État par la violence, non par la contestation». La ferme, maintient-il, était ni plus ni moins qu'un centre d'endoctrinement pour le mouvement.

Les proches des neuf de Tarnac montent au front dans les médias pour rejeter cette version des choses, relevant le caractère pacifiste des militants arrêtés et la démesure des accusations de terrorisme.

Le père de Julien Coupat, un médecin à la retraite, s'emporte. «C'est un scandale de considérer que ce gars-là est un terroriste. On lui reproche un délit d'opinion», déplore-t-il sur les ondes de France Inter.

Le philosophe italien Giorgio Agamben, qui a côtoyé le jeune Coupat dans des cercles intellectuels parisiens, estime que l'arrestation des neuf militants est une déplorable «tragicomédie».

«L'exercice actif des libertés politiques» et «la tenue de discours radicaux» semblent désormais suffire en France pour pousser à l'action les spécialistes de la lutte antiterroriste, déplore le penseur, qui évoque une dangereuse dérive antidémocratique.

«Ceux qui s'engagent activement aujourd'hui contre la façon... dont on gère les problèmes sociaux et économiques sont considérés ipso facto comme des terroristes en puissance quand bien même aucun acte ne justifie cette accusation», accuse-t-il.