Depuis neuf jours, des milliers d'ouvriers d'une vingtaine de sites industriels ont débrayé en Grande-Bretagne. Ils accusent leurs employeurs de vouloir graduellement les remplacer par une main-d'oeuvre étrangère, plus flexible et moins chère. Un vent xénophobe menace de souffler sur le pays, en proie à une grave récession. Parallèlement, on semble aussi assister à un renouveau syndical.

«Ce n'est que le début!» Des syndicalistes britanniques ont lancé ce cri de ralliement hier alors que des grèves touchaient les quatre coins de la Grande-Bretagne. Plusieurs milliers de grévistes du secteur industriel protestent depuis plus d'une semaine contre le recrutement d'ouvriers étrangers. Ils se disent victimes de discrimination.

 

Ils ont remporté leur première victoire hier à Lindsey. Dans cette petite ville du nord-est de l'Angleterre, les contractuels locaux de la raffinerie Total ont obtenu une centaine de nouveaux postes.

La vague de manifestations a d'ailleurs commencé dans cette zone industrielle où des cheminées, des pylônes et d'immenses entrepôts tutoient le ciel.

En décembre dernier, le géant français Total a annoncé aux ouvriers de Lindsey qu'environ 400 Italiens et Portugais travailleraient sur un important projet d'extension de la raffinerie, la troisième au pays.

Cette nouvelle les a piqués au vif. Comme partout dans le pays, le chômage dans la région est à la hausse et les emplois dans le secteur industriel se font rares.

»Dumping social»

Mais surtout, les contractuels de Lindsey pensent avoir été exclus du processus de sélection. Ils considèrent les nouveaux arrivants comme des ouvriers bon marché.

«Depuis 17 ans que je travaille ici, c'est la première fois que des étrangers sont employés», dit David Bunce, 47 ans.

Comme lui, environ 200 hommes battaient la semelle pour la huitième journée hier devant la raffinerie. Ils attendaient de connaître l'issue des pourparlers entre Total et leurs représentants, les syndicats Unite et GMB.

La rumeur courait que les Italiens et les Portugais seraient payés cinq livres sterling de moins par heure. L'expression «dumping social» revenait sur les lèvres.

«J'ai déjà travaillé dans une centrale de gaz où des Portugais étaient payés moins cher que le salaire minimum», explique Lee Hannon.

«Nous n'avons pas de problème à travailler avec eux, dit de son côté Graham Anderson, un vétéran comptant 30 ans d'expérience. Nous voulons simplement avoir des chances égales pour les ouvertures de postes. Notre situation d'emploi est déjà précaire.»

L'entente entre les syndicats et Total, conclue hier après-midi, ne prévoit pas le renvoi des Italiens et des Portugais.

D'autres manifestations sont prévues mardi prochain à Staythorpe, dans Nottinghamshire, où la présence d'ouvriers espagnols inquiète la main-d'oeuvre locale.

Fausse promesse

Ces pressions sociales ont embarrassé le premier ministre Gordon Brown, qui avait promis en 2007 des «emplois britanniques pour des travailleurs britanniques». Une formule que le parti d'extrême droite, le British National Party, revendique.

Le BNP a d'ailleurs tenté de récupérer les luttes des grévistes et de réveiller les réflexes xénophobes au pays. Sans grand succès, puisque ses représentants ont été expulsés des sites de grèves.

Pour sa part, Gordon Brown a exprimé sa sympathie pour les «gens inquiets pour leur emploi» et a souhaité qu'ils soient traités «sur un pied d'égalité avec leurs collègues étrangers».

Mais malgré sa promesse de 2007, le premier ministre ne peut rien faire pour eux. Car leurs employeurs ont agi légalement.

Une directive européenne, adoptée en Grande-Bretagne, leur permet de recruter une main-d'oeuvre étrangère temporaire, pourvu que les lois du travail du pays hôte soient respectées.

N'empêche, les ouvriers et les syndicalistes se sentaient capables de tout à Lindsey hier. Pendant que le porte-parole du syndicat Unite, Tony Ryan, tentait de renflouer ses rangs, son collègue, Keith Gibson, invitait la foule à une grande démonstration à Londres.

«Nous sommes au début d'un nouveau mouvement syndicaliste au pays», prédit M. Gibson.