La controverse sur les propos négationnistes de l'évêque lefebvriste Richard Williamson a forcé le Vatican à faire une volte-face humiliante cette semaine. Après avoir refusé de sévir contre lui, le Saint-Siège a reconnu avoir fait une erreur en levant l'excommunication de Mgr Williamson sans vérifier son passé, et a exigé qu'il se rétracte.

La crise révèle les risques de trois tangentes majeures prises par Benoît XVI. Son insistance sur les explications érudites et élégantes de la doctrine catholique le poussent, ainsi que ses collaborateurs, à négliger la diplomatie et les réalités politiques. La lutte qu'il a longtemps menée contre les théologiens dissidents de «gauche», et son désir de ramener dans l'Église les schismatiques de «droite», ont mené son entourage à présumer de la bonne foi de ces derniers. Et sa volonté de réaffirmer la «vérité» catholique face aux autres religions, même si elle s'accompagne d'une main tendue et d'un appel au dialogue, engendre de multiples faux pas.

 

«L'entourage du pape n'a vraisemblablement pas fait son travail, estime Gilles Routhier, théologien à l'Université Laval. Le secrétaire d'État, Tarcisio Bertone, est un homme plus doctrinaire que politique, et il n'a pas su prévoir la possibilité que des évêques lefebvristes aient des opinions politiques inacceptables, même s'il est bien connu que le lefebvrisme est lié à l'extrême droite française. Le cardinal chilien Dario Castrillon Hoyos, qui s'est occupé des relations avec les lefebvristes, est lui-même proche de la droite et n'a visiblement pas pensé que des évêques de droite pouvaient lui cacher quelque chose. Il leur a fait confiance.»

Antisémitisme et lefebvrisme

Le magazine catholique français La Vie, qui avait lancé une campagne pour désavouer Mgr Williamson qui s'est retranché dans son séminaire argentin et n'a pas voulu commenter l'ordre du Vatican , s'est déclaré satisfait de l'exigence de rétractation et a appuyé la décision de lever l'excommunication des schismatiques.

Mais Alberto Melloni, théologien et professeur à la Fondation des sciences religieuses Jean-XXIII à Bologne, qui est spécialiste du concile Vatican II, a relancé le débat en affirmant que l'antisémitisme est une «partie constitutive» du lefebvrisme, parce que son fondateur avait lutté bec et ongles, à Vatican II, pour que l'Église continue à qualifier les juifs de «déicides».

M. Routhier estime que l'antisémitisme fait bel et bien partie du «fonds de commerce» des lefebvristes: «Ce sont d'anciens partisans de l'Action sociale de Charles Maurras.» Mais John Allen, le vaticaniste de l'hebdomadaire américain The National Catholic Reporter, est plus prudent. «Les lefebvristes ont réellement un problème avec ce type de pensée chez leurs membres. Mais dans le cas du fondateur, je pense que son opposition au retrait du terme «déicide» était un attachement à la tradition, pas nécessairement de l'antisémitisme. Il pensait probablement que cela qualifiait les juifs de l'époque de Jésus, pas ceux d'aujourd'hui.»

Selon M. Routhier, même si les organisations juives ont salué l'exigence de rétractation faite à Mgr Williamson, l'épisode est symbolique d'un problème de relations avec les juifs, et d'une manière générale avec toutes les religions, sous Benoît XVI. «Les rabbins italiens, qui rencontraient régulièrement Jean-Paul II, ont récemment critiqué l'approche du pape envers la communauté juive», dit M. Routhier. En 2006, lors d'une visite à Auschwitz, Benoît XVI avait affirmé que l'holocauste était le fait de «païens», rappelant que les chrétiens avaient aussi souffert, quoique moins que les juifs.