Le président turkmène Saparmourad Niazov était connu comme l'un des dictateurs les plus durs et excentriques de la planète. Mais plus de deux ans après sa mort subite, en décembre 2006, les Turkmènes regrettent encore leur oppresseur bien-aimé.

«Quand le président est mort, moi aussi j'ai pleuré.» Maksad, 23 ans, parle d'une voix attendrie et visiblement sincère de celui qui s'était autoproclamé «Turkmenbachi» («père de tous les Turkmènes») et président «à vie».

 

Le jeune homme fait peu de cas du fait que Saparmourad Niazov ait interdit durant son règne l'opéra et le ballet - jugés pas assez turkmènes - et renommé les mois de l'année d'après lui-même, sa mère et des héros oubliés de la nation.

«C'était un grand homme. Il a tellement fait pour notre pays, poursuit-il. Il nous a donné notre indépendance et a adopté la politique de neutralité sur la scène internationale.»

Maksad ne cache pas sa fierté devant les grandes réserves de gaz et de pétrole de son pays. Il ne relève toutefois pas le paradoxe de sa propre situation: malgré toutes ces richesses nationales, il n'a jamais pu trouver un emploi décent au Turkménistan et a dû partir travailler sur les chantiers de construction en Russie, comme des milliers d'autres de ses compatriotes.

Il faut dire que rien dans son environnement ne l'a jamais incité à développer son sens critique. Maksad est né en 1985, l'année où le leader soviétique Mikhaïl Gorbatchev a nommé Saparmourad Niazov premier secrétaire du Parti communiste du Turkménistan, se fiant à sa réputation de fonctionnaire servile et obéissant pour qu'il mène à bien les réformes libérales. Dès la chute de l'URSS, le chef du nouvel État indépendant turkmène s'est empressé de refermer les brèches de liberté apportées par la glasnost et d'instaurer un culte de sa personnalité frôlant souvent le loufoque.

Son Ruhnama - «livre de l'âme» -, aux fortes tendances révisionnistes et glorificatrices de sa propre histoire et de celle de son peuple, était lecture obligatoire dans les écoles et les administrations publiques jusqu'à tout récemment. Il demeure encore aujourd'hui un ouvrage de référence.

Aujourd'hui, le Turkmenbachi repose dans un luxueux mausolée en périphérie de la capitale, Achkhabad. La vie a-t-elle changé depuis sa mort et l'arrivée au pouvoir de son successeur, l'ancien ministre de la Santé, Gourbangouly Berdymoukhamedov?

Maksad offre cette réponse paradoxale entendue chez plusieurs Turkmènes. «Non, c'est même mieux.» Il cite à titre d'amélioration la plus grande facilité à quitter le pays pour aller travailler. «Maintenant, les pensions sont versées aux retraités», ajoute-t-il.

Sa grand-mère Madina* a la mémoire plus longue. L'énergique veuve septuagénaire, mère de 10 enfants, reçoit à peine 40$ de l'État chaque mois. «Nous vivons dans la pauvreté! s'emporte-t-elle. C'était 100 fois mieux sous l'URSS!»

Madina fait partie des très rares citoyens qui osent se plaindre de l'héritage de Niazov. La majorité avait plutôt vécu sa mort comme un choc, susceptible d'entraîner une période d'instabilité. Chez les défenseurs des droits de l'homme, sa disparition avait ravivé l'espoir d'une amélioration de la situation dans cette dictature, l'une des plus fermées du monde avec la Corée du Nord et l'Érythrée.

Changements cosmétiques

Mais les changements apportés par Gourbangouly Berdymoukhamedov depuis son accession tout en douceur à la tête de l'État se sont avérés pour la plupart cosmétiques. Au mieux, il a cherché à se débarrasser des aspects les plus farfelus du règne de son prédécesseur. Pendant ce temps, des centaines de militants croupissent toujours en prison.

Les élections parlementaires de décembre dernier devaient consacrer les «avancées démocratiques» de la nouvelle Constitution, adoptée en septembre, qui contient pour la première fois le mot «multipartisme». Or, 90% des candidats étaient issus du Parti démocratique du Turkménistan, seul parti autorisé jusque-là. Les autres candidats avaient tous juré fidélité au président.

Dans la capitale Achkhabad, le changement de garde a très peu modifié le paysage, si ce n'est le visage sur les portraits présidentiels géants accrochés aux quatre coins de la ville. Et encore, la ressemblance physique entre l'ancien et le nouveau chef de l'État est frappante.

Les centaines de statues dorées du leader disparu trônent toujours un peu partout, même si le président Berdymoukhamedov a promis de déplacer du centre vers la périphérie la Tour de la neutralité, ornée en son sommet par un Turkmenbachi en or pivotant en suivant la rotation du soleil.

Dans son atelier de couture, Ogouljamal* est loin de se plaindre de sa qualité de vie. «Lorsque je regarde la télévision, je vois que dans d'autres pays il y a des fusillades, des batailles, que tout est cher. Mais chez nous, tout est accessible.»

La télévision, qu'elle regarde «peu parce que, honnêtement, nous travaillons tout le temps», est son seul moyen de comparaison avec le monde extérieur, par les chaînes satellitaires russes. Il n'existe que quatre cafés internet à Achkhabad et peu de connexions privées. La littérature et les journaux étrangers, même russes, sont pratiquement introuvables dans le pays.

Ogouljamal assure qu'il existe bel et bien une liberté de parole au Turkménistan. Elle n'a toutefois jamais ressenti le besoin d'en tester les limites. «Pourquoi dirais-je quelque chose de mal contre le président si je ne trouve rien à redire contre sa politique?»

Les présidents à vie meurent, les mentalités demeurent.

* Noms fictifs