Au risque de déclencher une polémique, le président ukrainien Viktor Iouchtchenko participe mercredi aux célébrations pour le 130e anniversaire de Simon Petlioura, combattant pour l'indépendance du pays pour les uns, organisateur de pogroms contre les juifs pour les autres.

Dans la soirée, le président assistera à un concert à la mémoire de M. Petlioura, commandant de l'armée nationale et chef d'un éphémère gouvernement ukrainien indépendant dans les années 1918-20, après des siècles de domination russe.Devenue finalement république soviétique au début des années 20, l'Ukraine fut alors le théâtre de violents combats entre l'armée blanche d'Anton Denikine, les troupes communistes, l'armée de Petlioura et des groupes anarchistes.

Au milieu du chaos général, un millier de pogroms furent perpétrés par différents mouvements entre 1917 et 1921. Ils firent 30.000 à 60.000 morts et provoquèrent l'exode de 200.000 juifs à l'étranger, selon l'historien ukrainien Vladislav Grynevytch.

L'attention donnée à Simon Petlouria, honni à l'époque soviétique, s'ajoute à d'autres célébrations controversées de combattants nationalistes ces dernières années en Ukraine.

«Les dirigeants ukrainiens continuent de falsifier l'histoire», s'insurge Vladimir Kornilov, directeur de l'antenne ukrainienne de l'Institut russe des pays de la CEI.

«Non seulement Petlioura était au courant, mais il encourageait des pogroms massifs de juifs en Ukraine», affirme-t-il à l'AFP.

Les communistes ukrainiens, réputés pour leur penchant pro-russe, lui font écho. «Bien sûr que nous condamnons ces célébrations! Iouchtchenko et ses accolytes tentent de réécrire l'Histoire», s'emporte le député communiste Igor Alekseïev.

Tous ne sont pas du même avis.

«Petlioura proposait la voie de la solidarité nationale contre l'invasion russe. A cette époque, il était un des principaux combattants pour l'indépendance de l'Ukraine», relève Myroslav Popovitch, directeur de l'Institut ukrainien de philosophie.

«Il n'a pas organisé de pogroms et a même ordonné de fusiller plusieurs chefs qui avaient initié des pogroms», soutient le savant, dont l'avis est partagé par nombre d'historiens ukrainiens. «Sa correspondance personnelle, des ordres donnés le prouvent», affime-t-il.

Mais «son armée était plus souvent impliquée dans des pogroms que d'autres et il était incapable de la brider. Il est responsable des pogroms non pas juridiquement mais moralement», estime M. Popovitch.

Même certains dirigeants juifs d'Ukraine sont indulgents à l'égard de Petlioura.

«Pour grand nombre de juifs ukrainiens, Petlioura est le symbole de pogroms. Mais l'historiographie soviétique a fortement déformé la vérité», estime Iosif Zisels, chef de l'organisation Vaad qui regroupe des organisations juives ukrainiennes.

«Le gouvernement de Petlioura avait plusieurs ministres juifs. Cela montre l'absence d'un politique antisémite», affirme M. Zisels.

«Les Soviétiques voulaient que le nationalisme ukrainien soit associé aux manifestations les plus horribles de la nature humaine», lui répond Oleksandre Maïboroda, docteur en histoire.

Né à Poltava (centre d'Ukraine) le 23 mai 1879, M. Petlioura, un ancien journaliste, émigra en France en 1920. Il fut assassiné en 1926 à Paris par un juif ukrainien, venu venger les pogroms.