Rayana Sadoulaeva, responsable d'une organisation non gouvernementale tchétchène, a été retrouvée assassinée avec son mari hier près de Grozny. C'est la deuxième en un mois. En dépit de la levée du régime d'opération antiterroriste en avril, les violences se poursuivent dans la petite république du Caucase russe.

Ça s'est passé lundi en plein après-midi, en plein centre-ville de Grozny, capitale de la Tchétchénie. Cinq hommes sont entrés dans le bureau de Sauvons la génération!, une organisation humanitaire locale qui s'occupe de la réadaptation d'enfants handicapés victimes de près de deux décennies de guerre et de violence continues dans la république autrefois indépendantiste. Ils se sont présentés à Rayana Sadoulaeva, la directrice, comme «membres des forces de l'ordre», sans montrer de pièce d'identité ni fournir de mandat d'arrêt. Ils sont repartis avec la femme de 34 ans et son mari, Alik Djibraïlov.

Un autre membre de l'organisation présent dans le bureau n'a pas été appréhendé par les agents anonymes. C'est lui qui a tout raconté.

Au petit matin hier, la voiture abandonnée du couple a été retrouvée dans un village en périphérie de la capitale. Dans le coffre gisaient leurs corps sans vie. La communauté d'humanitaires de Grozny est sous le choc. En moins d'un mois, elle a perdu deux travailleuses acharnées.

Le 15 juillet dernier, Natalia Estemirova, collaboratrice de l'ONG russe de défense des droits de l'homme Memorial, avait été assassinée dans des circonstances similaires.

Mais contrairement à Estemirova, Rayana Sadoulaeva (surnommée Zarema) n'était pas une critique du président autoritaire tchétchène pro-russe Ramzan Kadyrov. «Elle s'occupait d'enfants handicapés et n'avait jamais fait de déclaration contre le pouvoir», souligne Zaynap Gachaeva, présidente de l'ONG Écho de la guerre. Elle collaborait même avec les autorités pour plusieurs projets.

À neuf, mais pas à l'abri

À Grozny, les traces de la guerre ont presque totalement disparu. Sous les ordres du jeune Kadyrov et avec l'argent de Moscou, la capitale rasée par les bombardements russes a été reconstruite à neuf, à faire l'envie de n'importe quelle autre ville du pays. Mais assise dans l'un des nouveaux cafés modernes de l'avenue Poutine, renommée par Kadyrov en l'honneur de celui qui a déclenché le deuxième conflit en Tchétchénie, Zaynap Gachaeva s'inquiète.

«Nous vivons maintenant dans de bonnes conditions. Tout est beau, mais ce genre de chose arrive. Nous sommes sans défense.»

Les militants des droits de l'homme à Grozny excluent une implication personnelle du président et de sa milice dans le double meurtre, contrairement à celui d'Estemirova un mois plus tôt. Sous le couvert de l'anonymat, par crainte de représailles, certains d'entre eux accusent plutôt les «hommes à épaulettes» russes de vouloir déstabiliser à nouveau la Tchétchénie.

«La levée du régime d'opération antiterroriste n'était avantageuse que pour les civils, explique une humanitaire. Une partie des militaires ne veut pas la paix. Certains vivaient du chaos en Tchétchénie, obtenaient des primes et beaucoup d'autres avantages.»

Si ce double meurtre ne fait pas exception à la règle qui a cours en Tchétchénie, les coupables ne seront jamais jugés.