Ingrid Betancourt a passé près de sept ans dans la jungle colombienne aux mains de guérilleros marxistes avant de recouvrer la liberté à l'été 2008. L'ex-politicienne de 47 ans, de passage cette semaine à Montréal, a longtemps été adulée par les médias français. Or, depuis sa libération, elle a vu son image se détériorer dans l'Hexagone, rapporte notre correspondant.

Ingrid Betancourt a passé près de sept ans dans la jungle colombienne aux mains de guérilleros marxistes avant de recouvrer la liberté à l'été 2008. L'ex-politicienne de 47 ans, de passage cette semaine à Montréal, a longtemps été adulée par les médias français. Or, depuis sa libération, elle a vu son image se détériorer dans l'Hexagone, rapporte notre correspondant.

Pendant ses années de détention dans la jungle, les médias français ont fait d'Ingrid Betancourt une véritable icône en dressant le portrait d'une femme miraculeusement forte et déterminée que rien ne pouvait briser. Mais cette époque est révolue.

La moindre critique émanant d'anciens compagnons de détention ou de proches reçoit aujourd'hui un large écho dans l'Hexagone, écorchant l'ex-otage franco-colombienne, qui se trouve désormais «en panne d'images» pour reprendre la formule d'un quotidien belge.

La revue Marianne a illustré crûment la tendance en mars dernier en demandant: «Garce ou sainte... Mais qui est vraiment Ingrid Betancourt?» dans un long article mettant en évidence les frustrations de trois ressortissants américains qui l'ont côtoyée en détention.

«Feu sur la Madone!» a titré pour sa part en avril le Nouvel Observateur dans un article qui explore le revirement de fortune médiatique de Mme Betancourt en s'étonnant des critiques amères de Claire Rojas, une de ses plus proches collaboratrices.

«Ce sont les mêmes médias qui l'ont érigée en sainte, en femme parfaite, qui exagèrent aujourd'hui dans le sens contraire. Peut-être que les journalistes sont déçus de constater qu'elle ne correspond pas au mythe qu'ils avaient créé... Au fond, on connaît mal Ingrid Betancourt», commente en entrevue à La Presse Armand Burguet.

Ce ressortissant belge, qui est en contact régulier avec l'ex-otage et sa famille, a vécu de près les péripéties liées à la capture, à la détention et à la libération de l'ex-politicienne enlevée par des guérilleros marxistes en février 2002, alors qu'elle faisait campagne pour l'élection présidentielle.

À l'époque, elle était virtuellement inconnue à l'échelle internationale. M. Burguet, qui gère un site internet d'information pour les enseignants, s'était intéressé à son cas peu de temps auparavant. Il avait mis en ligne une page à son sujet qui a été prise d'assaut lors de l'annonce de l'enlèvement.

Un ton «messianique»

De fil en aiguille, M. Burguet finit par se retrouver au coeur d'une organisation qui chapeaute les comités de soutien mis sur pied un peu partout pour sensibiliser la population et les élus à sa capture ainsi qu'à celle des autres otages colombiens.

À l'époque, Mme Betancourt n'est pas non plus très connue en France, si ce n'est par un livre autobiographique dans lequel elle raconte son passé dans un milieu d'aristocrates colombiens, ses années de vie entre Paris et Bogota et son retour en Colombie pour se lancer dans l'arène politique.

L'ouvrage, qui se vend bien, est mal accueilli par le quotidien Le Monde, qui s'étonne de voir les lecteurs s'enthousiasmer pour «les tribulations d'une jeune femme BCBG, pur produit de l'élite d'un pays aussi lointain qu'inconnu» qui semble vouloir se présenter comme «la seule et unique» personne à combattre la corruption.

En Colombie, le livre ne plaît guère. Le principal hebdomadaire du pays, qui fait apparaître Ingrid Betancourt dans une armure moyenâgeuse en couverture, relève qu'elle présente son histoire sur un ton «messianique», «comme une croisade dans un pays où tout le monde est méchant sauf elle». «Ingrid a participé elle-même à sa mythification en passant sous silence certains aspects moins positifs de son histoire», souligne M. Burguet.

Le processus s'accélère après son enlèvement, qui frappe l'imagination. Et il ne fait que s'exacerber pendant les longues années de détention dans la jungle. Il atteint son paroxysme à la fin de 2007 lorsque les guérilleros diffusent une lettre écrite à ses proches et une vidéo frappante où on la voit amaigrie, les mains jointes.

Le quotidien La Croix somme les personnes qui ne ressentent rien à la vue de cette image de s'accuser «d'indifférence humaine, de glaciation mentale». Il présente sa lettre comme une «leçon conclusive sur l'essentiel de l'existence».

Exorciser ce qu'elle a vécu

Huit mois plus tard, la France exulte en apprenant la libération d'Ingrid Bétancourt et d'une poignée d'otages, lors d'une opération commando couronnée de succès. L'accueil tourne cependant rapidement au vinaigre.

Plusieurs anciens collaborateurs, qui ont milité pour sa libération pendant des années, l'accusent de manquer de reconnaissance et de négliger les otages toujours détenus en Colombie. "Il faut qu'elle se reconstruise", commente sommairement Hervé Marro, un militant français joint au téléphone, qui ne veut pas revenir sur le sujet.

Alors que d'anciens otages critiquent son comportement dans la jungle, supposément trop égoïste, d'autres s'étonnent de la voir courir de chef d'État en chef d'État dans les mois suivant sa libération.

Selon M. Burguet, ces critiques sont superficielles et ne prennent pas la mesure de l'impact du traumatisme vécu par Ingrid Bétancourt, qu'il décrit comme une femme dotée d'une «volonté d'acier» et d'un caractère «pas piqué des vers».

«Personne ne peut vivre ce qu'elle a vécu sans avoir été profondément marqué psychologiquement», souligne-t-il, en relevant que l'ex-otage a depuis fait le vide autour d'elle, réduisant presque à néant ses interventions publiques.

Ingrid Betancourt en cinq dates

1961: Naissance à Bogota, en Colombie, le 25 décembre. Son père a notamment été ambassadeur à l'UNESCO, à Paris.

1994: Elle fait ses débuts en politique et est élue députée pour la première fois.

2001: Elle publie son autobiographie intitulée La rage au coeur.

2002: Elle est candidate à la présidentielle, cette année-là, en Colombie. Le 23 février, elle est enlevée par la guérilla.

2008: Elle est libérée le 2 juillet après avoir été séquestrée pendant près de sept ans.