Comme nombre de pays occidentaux, la Belgique - où le port du foulard islamique vient de faire couler beaucoup d'encre - est tiraillée quant à la façon dont l'État doit traiter les demandes émanant de groupes minoritaires. Certains intellectuels et élus pensent que les accommodements raisonnables à la québécoise sont une piste prometteuse, a constaté notre envoyé spécial, Marc Thibodeau.

Des histoires à répétition dans les médias sur les demandes de communautés culturelles minoritaires, des prises de bec en série sur la laïcité réelle ou supposée de l'État, la classe politique en émoi, une commission lancée pour trouver des solutions. Avec, en prime, un débat sur les accommodements raisonnables.

 

Non, l'histoire ne se déroule pas chez nous mais bien en Belgique, qui songe à s'inspirer de l'approche québécoise pour tenter d'apaiser une crise sociale d'une intensité qui rappelle celle survenue il y a quelques années dans la Belle Province.

Bien que les sujets de tension soient variés - le quotidien Le Soir s'est par exemple interrogé récemment sur le sens de la récente génuflexion du roi des Belges devant le pape -, ils tournent surtout autour de demandes émanant de la communauté musulmane.

Le port du foulard islamique fait notamment couler beaucoup d'encre parce que des écoles publiques d'Anvers ont décidé, en septembre, de l'interdire à leurs élèves.

L'un des établissements a par la suite été vandalisé. Et des fillettes se disant lésées ont manifesté. Jusqu'à ce que le gouvernement régional flamand décide d'élargir l'interdiction à l'ensemble du réseau public. La question fait aussi débat du côté francophone, à Bruxelles et en Wallonie, où les établissements sont libres de décider de la marche à suivre.

Le Québec fait réfléchir

Une virulente polémique avait déjà été suscitée en juin par l'élection, au Parlement régional bruxellois, d'une députée de 26 ans qui porte le foulard, Mahinur Ozdemir.

La jeune femme estime que son élection reflète la diversité croissante de la population. Elle fustige les critiques qui lui prêtent un programme religieux sans la connaître, simplement parce qu'elle «dissimule (ses) cheveux».

Les intellectuels, en particulier à gauche, se déchirent sur le sens à donner à l'élection d'une élue voilée. Nadia Geerts, enseignante en philosophie à la Haute école de Bruxelles, pense que les politiciens ne devraient pas pouvoir arborer de signes religieux ostentatoires de ce type. Et que la polémique pose à plus large échelle la question des limites du modèle d'intégration belge.

À l'heure actuelle, dit-elle, le pays se situe entre le modèle français, peu conciliant avec les demandes des minorités, et le modèle anglo-saxon, basé sur le multiculturalisme. «Mais là, nous arrivons à un stade où il va falloir choisir l'un ou l'autre», estime Mme Geerts, qui voit d'un mauvais oeil l'importation dans le débat du concept d'accommodement raisonnable.

Ce concept figurait notamment dans le programme du parti Écolo, qui s'enthousiasme face à ce «dispositif de gestion de conflits» parce qu'il permet «manifestement une cohabitation plus harmonieuse» entre les communautés.

«Le modèle québécois nous intéresse mais on ne le suit pas à la ligne... C'est une piste de réflexion pour nous», temporise le porte-parole de la formation, Baptiste Erkes. La coalition mise sur pied après les élections régionales en Wallonie en fait d'ailleurs l'un de ses axes de réflexion, ajoute-t-il.

Moules frites et Brel?

La démarche du parti Écolo a notamment été alimentée par Pierre Ansay, ex-délégué de Wallonie-Bruxelles au Québec, qui demande dans une récente analyse si la Belgique trouvera «sa vérité» en étudiant la situation québécoise.

La commission Bouchard-Taylor préconise, par les accommodements raisonnables, un concept d'égalité «qui va au-delà du traitement uniforme des citoyens», souligne l'auteur, qui se montre lucide sur les limites de l'exercice en cours au Québec. Beaucoup reste à faire, relève-t-il, en ironisant sur la décision du gouvernement Charest de ne pas retirer la croix de l'Assemblée nationale. «D'accord pour l'oecuménisme, mais catholiques d'abord!» souligne M. Ansay.

Les accommodements raisonnables, qui sont défendus par plusieurs associations belges de lutte contre la discrimination, figurent parmi les points à débattre par les membres d'une commission sur «l'interculturalité» récemment lancée par le gouvernement fédéral. Elle doit accoucher en 2010, à l'issue d'une vaste consultation, de mesures permettant «d'instaurer des politiques concrètes et pragmatiques en matière de dialogue entre les cultures».

Mme Geerts craint que des intégristes ne réussissent à utiliser la notion d'accommodement raisonnable afin d'obtenir des privilèges qui sont contraires à l'intérêt général et menacent la cohésion de la société belge.

Le défi actuel, dit-elle, n'est pas de «faire en sorte que tout le monde mange des moules frites et écoute Brel», mais bien de définir «quel est le socle de valeurs communes» pouvant assurer que la Belgique soit une «véritable société de brassage».

«Moi, je ne connais pas de valeur voulant que l'on essaie de mettre tout le monde dans le même sac», rétorque Mahinur Ozdemir, qui est favorable aux accommodements raisonnables.

«Des accommodements, on en voit chaque jour en Belgique même s'ils ne sont pas toujours désignés par ce nom», souligne-t-elle.