Nicolas Sarkozy qui étouffe la presse française? Un jugement à courte vue, croit Robert Namias, ancien directeur de l'information de TF1. Les racines du mal qui afflige la presse française sont beaucoup plus profondes. Pour sauver sa crédibilité, les journalistes de l'Hexagone devraient s'inspirer de leurs collègues anglo-saxons, dit-il.

Après 40 ans de journalisme, dont 16 aux commandes de l'ultrapopulaire Journal télévisé de TF1 - avant de quitter son poste l'an dernier lors de la réorganisation de la chaîne -, Robert Namias dit tout haut ce qu'il pense depuis 10 ans: la presse française est victime de sa culture.

«Le journalisme en France a toujours été considéré comme une littérature», dit en entrevue ce journaliste qui donnera ce midi une conférence à l'Université de Montréal. «Cela donne des choses remarquables, comme la qualité d'écriture.»

Mais la presse française a toujours préféré le commentaire au strict rendu des faits. «Elle n'a jamais su vraiment garder ses distances avec les émetteurs d'information, dit M. Namias. Dans la tradition anglo-saxonne, on sait garder ses distances. Dans la tradition française, on a toujours eu tendance à considérer que moins il y avait de distance, plus il y avait d'information.»

Lorsque le paysage médiatique français était constellé de canaux d'information privés appartenant à de multiples propriétaires, en plus des chaînes publiques, l'équilibre des forces jouait en faveur de l'information. Mais depuis la crise, des journaux, radios et télés ont été rachetés par de grands groupes financiers.

Ces grands groupes de financiers ont tissé depuis longtemps des liens d'amitié avec Nicolas Sarkozy, bien avant son élection comme président de la République. «On croit qu'il y a une pression permanente du pouvoir politique qui se serait accrue depuis l'arrivée de Nicolas Sarkozy. La vérité est bien plus complexe.»

Pour sauver leurs entreprises de presse, observe M. Namias, les journalistes français, habitués à être proches de leurs sources, ne veulent déplaire à personne. Et la qualité de l'information en pâtit. «Le vrai risque est là. Pour traverser la crise, on passe une info de plus en plus tiède.»

Chemin

Mais la bonne nouvelle, estime M. Namias, est qu'avec l'internet, l'information finit par trouver son chemin. Il en prend pour exemple la récente polémique entourant la candidature de Jean Sarkozy, fils de 23 ans du président, à la tête du quartier d'affaires de La Défense. L'information avait été publiée discrètement dans les grands médias, avant d'être reprise en force sur l'internet. Face à l'indignation monstre que provoquait la candidature, les grands médias n'ont plus eu le choix de rapporter la polémique, au risque de déplaire au pouvoir.

«La liberté des uns rejaillit sur les autres, estime Robert Namias, qui se dit optimiste pour l'avenir. À un moment, un média dit institutionnel est confronté à la liberté des autres. Il risque de perdre toute crédibilité s'il ne se redonne pas sa liberté.»